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Le deuil de l’hiver

MétéoSuisse-Blog | 28 novembre 2024
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Dans ce blog, un météorologue nous partage sa vision de l’hiver dans un climat qui se réchauffe. Entre photos d’archives et données climatologiques, il est temps de faire le point sur cette saison qui n’a plus la même saveur depuis quelques années lorsqu’on aime la neige et le froid.

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Les hivers du passé

Mon intérêt pour la météorologie vient sûrement du fait que j’ai toujours aimé le froid et en particulier la neige. Cette fascination pour l’or blanc a probablement débuté au début des années 1990, lorsqu’enfant, j’ai habité quelques années à la Vallée de Joux. Bien que les hivers des années 1990 aient été plutôt doux pour l’époque (notamment les hivers 1993, 1994 et 1995), ils n’ont tout de même pas été aussi doux que certains hivers des dernières années (les hivers 2020 et 2024 ont été les plus doux depuis les débuts de mesures en 1864). Le lac de Joux était parfois entièrement gelé, chose qui ne s’est plus produite ces derniers hivers. Né à la fin des années 1980, période aussi marquée par les hivers doux de 1988 à 1990, je n’ai pas connu les vagues de froid historiques des années 1985 et 1987, et encore moins l’hiver 1962-1963, le deuxième plus froid depuis le début des mesures.

J’ai ensuite passé la fin des années 1990 et les années 2000 dans la plaine du Chablais. Ces années ont été marquées par plusieurs hivers neigeux et/ou froids. On peut retenir en particulier février 1999 et les hivers 2004/2005 et 2005/2006.

La photo ci-dessous montre la plaine du Chablais enneigée dans la région d’Aigle le 29 janvier 2005. Cette année-là, l’enneigement était resté continu du 24 janvier au 11 mars avec seulement une interruption d’un jour le 13 février selon les mesures officielles à Aigle. L’enneigement maximum avait été mesuré le 20 février avec 28 cm au sol.

Absence d’hivers froids depuis quelques années

Les années 2010 ont encore été marquées par quelques épisodes hivernaux dignes de ce nom, en particulier le mois de décembre 2010 ou la vague de froid de février 2012. À noter tout de même que les vagues de froid comme celle de février 2012 sont des événements exceptionnels et ne sont donc pas attendus tous les hivers. Ces événements sont toutefois de plus en plus rares et les épisodes de grande douceur hivernale de plus en plus fréquents.

Depuis la fin des années 2010, les hivers n’ont plus la même saveur. Les records de douceur ont été tellement nombreux qu’il n’est pas possible de tous le mentionner. Les statistiques de températures à Aigle sont particulièrement éloquentes (figure 3). La température n’est plus descendue en dessous de -10 °C depuis l’hiver 2016/2017. Les chutes de neige ont été très rares, cela s’explique en partie par la hausse des températures, mais également par une absence de flux de nord-ouest à nord particulièrement favorables aux chutes de neige dans cette région.

Cette disparition du froid et des chutes de neige en plaine, mais également en basse et moyenne montagne, n’a rien de surprenant. Cette évolution liée au réchauffement climatique est attendue depuis plusieurs décennies et ne va pas s’arrêter (sauf si les émissions de gaz à effet de serre sont rapidement et significativement réduites).

La disparition du froid se vérifie aussi sur le plus long terme avec des périodes de froid de plus en plus rares. La figure 4 ci-dessous montre la plus longe période de froid chaque année depuis 1864 à Genève et Neuchâtel. Depuis le milieu des années 2010, les jours de glace (température maximale inférieure à 0 °C) sont devenus très rares, alors qu’auparavant il était commun d’avoir des périodes de 5 à 10 jours sans dégel.

La figure 5 ci-dessous montre l’évolution de la température hivernale en Suisse par rapport à la moyenne 1961-1990. La courbe noire montre la moyenne glissante sur 20 ans et illustre la variabilité naturelle. On identifie les hivers doux des années 1990 à début 2000, puis une série d’hivers plus froids entre les années 2000 au début des années 2010 (à l’exception des hivers 2006/2007 et 2007/2008). Depuis la deuxième moitié des années 2010, les hivers doux se succèdent. Une simple extrapolation de la moyenne glissante laisse imaginer un potentiel retour d’hivers un peu plus frais ces prochaines années, mais la probabilité qu’ils soient en dessous de la moyenne 1961-2020 devient de plus en plus faible dans le contexte de réchauffement global.

Des hivers froids de plus en plus rares à l’avenir

Il y a encore quelques années, la variabilité naturelle du climat nous permettait de vivre des hivers relativement froids et neigeux même en plaine. Même si cette variabilité naturelle ne va pas disparaître, ces hivers deviendront de plus en plus rares.

C’est donc une bonne nouvelle pour les personnes qui n’apprécient pas l’hiver. Pour les personnes comme moi (que l’on nomme « hivernophiles » sur les forums météo), il est temps de faire le deuil et d’accepter cette évolution vers des hivers de plus en plus doux et le fait qu’ils deviennent la norme. Dans quelques décennies, l’hiver en plaine ressemblera à un long automne humide avec parfois des gelées par temps anticyclonique. De temps en temps, des conditions exceptionnelles permettront à la neige de tomber dans un hiver doux (à l’image de la neige sur l’extrême ouest du pays en janvier 2024). Ce mois de novembre 2024 nous a aussi montré que des épisodes neigeux exceptionnels en plaine sont tout à fait possibles dans le climat actuel. Des records de neige fraîche ont même été mesurés, en particulier sur le Plateau alémanique ainsi que dans le canton du Jura et au Tessin. Est-ce que cela marque le début d’un hiver neigeux et froid ou il s’agit d’un épisode isolé à l’image de ceux qui ont été observés ces dernières années ? En tout cas, le redoux qui a suivi ces chutes de neige a été une fois de plus remarquable.

En moyenne montagne, les épisodes neigeux sont encore fréquents, mais l’enneigement rarement durable avec d’importants redoux qui peuvent avoir raison d’un manteau neigeux même conséquent. Dans quelques décennies, l’hiver en moyenne montagne ressemblera à ce qu’il est aujourd’hui en plaine.

Les vagues de froid du passé ont bien entendu eu des impacts négatifs. On peut penser par exemple aux oliviers qui ont gelé dans le sud de la France en février 1956. De ce point de vue, c’est donc plutôt une bonne chose que de tels événements deviennent de plus en plus rares. Mais à l’inverse, l’absence de froid en hiver pose aussi des problèmes dans des régions habituées au froid hivernal durant des siècles. On peut par exemple penser à l’absence de brassage des eaux du Léman ou à la prolifération d’insectes ravageurs. Les printemps précoces augmentent aussi la probabilité de dégâts aux cultures en cas d’épisode de gel printanier .

Et l’hiver 2024/2025 ?

Pour ce qui est de l’hiver à venir, les tendances actuelles indiquent qu’il pourrait être plus chaud que la norme, rien de surprenant dans un climat qui se réchauffe. Pour les mois de décembre à février, la moyenne de 51 scénarios indique une température en Suisse comprise entre 1 et 2 °C au-dessus de la norme (moyenne calculée sur la période 1993-2016) avec une situation de NAO positive.

La probabilité que cet hiver soit parmi le tiers des hivers les plus doux (par rapport à la période de référence 1993-2016) est comprise entre 60 et 70 % en Suisse. La probabilité qu’il soit parmi le tiers des hivers les plus froids est d’environ 10 %. La probabilité qu’il soit dans la norme est donc de 20 à 30 %.

Il faut toutefois noter que l’Europe est l’une des régions du globe où les prévisions saisonnières sont les moins fiables, comme le montre la vérification de ces prévisions. Il est donc toujours possible d’espérer (ou de craindre) un hiver froid. Mais comme expliqué précédemment, la probabilité d’avoir des hivers froids va continuer de diminuer. Il reste donc la possibilité de déménager en montagne (suffisamment haut) ou dans un pays nordique pour vivre encore de « vrais » hivers pendant quelques années.