En début de semaine, le scénario qui se profilait pour vendredi était particulièrement humide avec l'arrivée d'une rivière atmosphérique sur les versants occidentaux des Alpes et même du Jura. Le scénario basé sur les calculs de mardi matin, prévoyait un cas école de "Rhum express" (météorologique bien sûr et non cinématographique) tout droit venu des Antilles. Les cumuls prévus alors entre vendredi et samedi, de plus de 100 mm en une journée sur les versants exposés aux forts vents d'ouest, associés à une limite pluie-neige très haute, laissaient même envisager des avertissements pour des pluies abondantes, potentiellement de niveau 3 voire plus. Cette configuration initialement prévue en début de semaine était similaire à celle du 23 décembre dernier qui avait entraîné un lessivage de la neige à moyenne altitude juste avant Noël.
Rassurez-vous, les modèles n'avaient pas bien cerné la position de ce système et ce scénario semble aujourd'hui improbable, comme l'a annoncé notre blog d'hier sur le retournement de situation.
Les vents en altitude, contrairement aux écoulements proches de la surface canalisés par le relief, ne sont guidés que par l'équilibre entre les pressions et la force de Coriolis. Ainsi, le devenir de cette mince rivière atmosphérique dépend de l'évolution de la position des centres d'action (hautes et basses pressions), qui à 4 jours d'échéance peut encore considérablement évoluer lorsque l'on se trouve dans une situation de courant rapide et perturbé.
Assez rapidement, à 4 jours d'échéance, la position et surtout le débouché de cette rivière atmosphérique ont évolué au fil des mises à jour des modèles. Au cours des 4 runs successifs du modèle du centre européen visibles ci-dessous présentant le potentiel de précipitations de la masse d'air (en mm), on constate que cette rivière s'est décalée plus au sud pour arriver plutôt sur les régions méridionales de la France. Notre pays se retrouve donc en marge de cette vaste bande de douceur et d'humidité qui remonte depuis les Caraïbes après un long périple transatlantique.
A la position de cette rivière atmosphérique s'ajoute une autre source d'incertitude : la nature des masses d'air en présence et notamment la température. En regardant l'animation de température prévue à 1500 m ci-dessous, on constate que la Suisse se situe en effet à l'interface entre de l'air polaire froid (en bleu) et de l'air tropical plus doux (en rouge). De plus, les courbes isothermes très resserrées montrent que le gradient de température, c'est-à-dire l'écart de température ramené à la distance sur laquelle s'observe cet écart, est important. En conséquence, un léger déplacement de cette limite de masse d'air a un impact non négligeable sur la température, et donc sur l'altitude de la limite pluie-neige.

Cette incertitude sur les précipitations de vendredi et samedi persiste encore ce jeudi, à la veille des précipitations. Vous pouvez d'ailleurs vous en rendre compte par vous-même grâce aux météogrammes sur notre application ou notre site internet qui fournissent non seulement la prévision des températures, mais l'incertitude autour de cette prévision. Un graphique valant mille mots, nous vous laissons en juger avec la capture d'écran suivante pour plusieurs localités de Suisse romande. La période encadrée en vert voit la bande semi-transparente s'élargir, donc l'incertitude sur les températures augmenter.
Notez qu'ensuite la prévision de température semble plus fiable, alors que l'échéance est plus lointaine. Il y a en effet certaines situations météorologiques plus difficiles à prévoir que d'autres, il faut donc rester attentif au contexte météorologique et ne pas systématiquement appliquer la règle "l'incertitude augmente avec l'échéance". L'expérience montre que ce n'est pas toujours le cas.

Qu'en est-il justement des quantités de neige? La température étant un paramètre encore incertain demain et samedi, cela va évidemment jouer sur l'altitude de la limite pluie-neige et donc sur les cumuls finaux. Si l'on jette un coup d'oeil aux prévisions probabilistes permettant d'estimer les scénarios possibles et leur probabilité d'occurence, il semble que les régions les plus touchées soient bien cernées, ce sont celles exposées aux vents d'ouest (Bas-Valais, Chablais et Jura) et nord-ouest (Préalpes et versant nord des Alpes). En revanche, il subsiste une incertitude sur les régions de moyenne montagne en-dessous de 2000 m : certains scénarios plus froids donnent même des chutes de neige sur la Gruyère et les hauteurs du Plateau. D'autres, plus marginaux, prévoient des cumuls bien plus faibles (<20 cm) y compris en montagne.

Le scénario dominant propose des cumuls de neige tout à fait "inhabituels" dans le contexte de sécheresse que nous avons connu de fin janvier à début mars. Les quantités de neige prévues de l'ordre de 30 à 50 cm en 24h au-dessus de 1600 m, ont motivé l'émission d'un avis de degré 2 pour les régions de montagne les plus concernées.
