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À la recherche de la plus vieille glace du monde
MétéoSuisse-Blog | 25 juillet 2025

Alors que l’été se fait plutôt discret ces jours, parlons aujourd’hui de glace. Pas d’une bonne glace italienne ou de la fameuse glace au citron d’Henri Dès, mais bien de glace en provenance de l’Antarctique. Dans le cadre du projet scientifique européen Beyond EPICA – oldest ice, une carotte de glace contenant de la glace vielle de plus de 1,2 million d’années a été extraite et vient d’arriver dans des laboratoires pour nous livrer ses secrets !

Vue depuis la station de Little Dome C en Antarctique.
Vue depuis la station de Little Dome C en Antarctique. (Scoto©PNRA/IPEV)
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De l’importance des carottes de glace

La glace antarctique est un élément primordial pour l’étude du climat passé. Comme nous l’expliquions dans ce blog et ce blog, de par sa composition chimique, la glace nous fournit des informations sur les températures passées. Mais pas que ! Elle contient notamment des bulles d'air qui, quant à elles, nous renseignent sur la composition atmosphérique, en particulier sur la concentration de gaz à effet de serre.

La plus vielle carotte de glace continue a été extraite en 2002 dans le cadre du projet EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica) au lieu-dit Dôme Charlie, plus couramment abrégé Dome C, situé dans l’est de l’Antarctique. Cette carotte de glace a permis, entre autres, une reconstruction continue des températures ainsi que des concentrations de dioxyde de carbone et de méthane sur les derniers 800 000 ans.

Carte de l'Antarctic localisation du Dôme Charlie, ou Dome C, à 3200 m d’altitude.
Localisation du Dôme Charlie, ou Dome C, à 3200 m d’altitude. (Wikimedia Commons)

Le projet Beyond EPICA – oldest ice

Le consortium derrière le projet EPICA, dont fait partie l’Université de Berne, a décidé en 2019 de remettre le couvert avec un projet plus ambitieux : extraire une carotte de glace permettant de récupérer des informations climatiques couvrant une période allant de nos jours jusqu'à il y a environ 1.5 millions d'années. Ainsi, ces informations permettraient potentiellement de répondre à certaines questions climatiques, notamment le fait qu'il y a environ 1 million d'années, les cycles glaciaires sont passés d'une durée de 40'000 ans à une durée de 100'000 ans pour des raisons que l'on n'a pas encore totalement comprises à ce jour.

À noter qu'il ne suffit pas simplement d'extraire de la vieille glace pour obtenir les informations souhaitées, il faut, en plus, que la glace ait été accumulée patiemment de manière organisée sur toute la période souhaitée afin que la carotte de glace puisse offrir une chronologie continue. Ainsi, un site proche du Dôme C, appelé sobrement Little Dome C en anglais, a été identifié comme le meilleur candidat pour l'extraction de glace vieille de 1,5 million d'années encore en bon état.

Construction de la tente de forage en 2019.
Construction de la tente de forage en 2019. (M. Frezzotti©PNRA/IPEV)

Un défi logistique important

Effectuer de telles opérations dans un milieu aussi contraignant que l'Antarctique implique de nombreux défis logistiques, tels que la mise en place d'une base d'opération impliquant notamment le transport de plusieurs tonnes de matériel et de nourriture. Notons que les conditions météorologiques locales permettent de travailler uniquement durant l’été austral.

La construction de la base a commencé en 2019. Après une interruption COVID en 2020, les opérations ont pu reprendre en 2021 avec les premiers tests de forage. Ce n’est pas une mince affaire : il s’agit de creuser la glace sur 2.4 km de profondeur et d’extraire une carotte d’une même longueur ! Le tout par un trou d’une dizaine de centimètres de large devant rester accessible durant plusieurs années. Il faut aussi stocker cette carotte, par morceau, en veillant bien à ne pas mélanger les morceaux entre eux. En effet, pour chaque morceau de glace, il est primordial de savoir précisément à quelle profondeur il a été extrait.

Photo aérienne du camp Beyond EPICA en 2019.
Camps Beyond EPICA en 2019. (T. Stocker©PNRA/IPEV)
Glace fraîchement extraite.
Glace fraîchement extraite. (Scoto©PNRA/IPEV)

En janvier de cette année, le sol a finalement été atteint ! Près de 2800 m de glace ont donc été extraits et les premières analyses suggèrent une glace vieille d’au moins 1,2 million d’années. Il aura fallu 200 jours effectifs de forage et des dizaines de scientifiques et technicien.ne.s se relayant sur place pendant 6 ans dans des conditions de vie spartiates pour arriver à cela.

Ceci ne signifie pas du tout la fin du projet, au contraire. Il faut maintenant acheminer toute cette glace en Europe en veillant à toujours préserver la chaîne du froid (-50°) et à ne pas mélanger les échantillons. Pour ce faire, la glace est petit à petit envoyée dans divers laboratoires via des containers réfrigérés. Une équipe sera à nouveau sur place l’été austral prochain afin de terminer le transfert et d’assurer le démontage du camp.

Trou de forage.
Trou de forage. (Barbante©PNRA/IPEV)
Morceaux de la carotte glace.
Morceaux de la carotte glace. (Westhoff©PNRA/IPEV)
Stockage des carottes de glace sur place.
Stockage des carottes de glace sur place. (©PNRA/IPEV)
Déchargement des containers réfrigérés du brise-glace Laura Bassi pour leur transport vers l’Europe.
Déchargement des containers réfrigérés du brise-glace Laura Bassi pour leur transport vers l’Europe. (Bianchi Fasani©PNRA/IPEV)

Des années d’analyses

Alors que pour les équipes de terrain, on approche de la fin du projet, le volet scientifique n’en est qu’à son commencement. La glace commence seulement à arriver dans les laboratoires pour analyse. Selon que l'étude porte sur la glace en elle-même ou sur les bulles d'air contenues dans celle-ci, la glace subira différents types d'analyses. Ces analyses, faites à l'aide d'instruments complexes et souvent uniques, ont la particularité d’être destructrices, c’est-à-dire que l’échantillon étudié est détruit lors du processus d’analyse. Il n’y a donc pas de droit à l’erreur ici ! La carotte de glace est découpée en plus petits morceaux et chaque gramme de glace est soigneusement attribué à un laboratoire, ou archivé pour de futures analyses requérant des technologies encore indisponibles de nos jours.

Il va maintenant falloir attendre que les analyses soient effectuées, puis que les résultats soient publiés dans de revues scientifiques, avant que cette carotte de glace nous livre tous ses secrets. La patience est donc de mise.

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