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Météorologie et esthétisme

MétéoSuisse-Blog | 17 février 2024
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De la complexité des phénomènes atmosphériques émerge souvent des images très esthétiques. Le métier de météorologue consiste en bonne partie à analyser ces images. Quand la frustration de ne pas pouvoir tout expliquer et prévoir se manifeste, on ne peut qu’admirer la beauté de ces phénomènes. Ce blog propose de plonger dans l’esthétisme de la météorologie, à cheval entre la science, l’art et la philosophie.

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Images satellites, le jeu des couleurs

Les images des satellites météorologiques ne correspondent très souvent pas à ce qu’un humain verrait depuis l’espace. La raison est que notre vision est limitée à la partie visible du spectre de la lumière (au sens optique, la lumière inclut le rayonnement infrarouge et ultraviolet, voir Figure 1). Or, il se passe bien des choses dans l’atmosphère en dehors du visible. Certains gaz n’absorbent pas la lumière dans des plages de longueurs d’ondes spécifiques, c’est ce qui constitue la fenêtre atmosphérique, qui est utilisée par les satellites pour observer la surface de la Terre. Par exemple, la vapeur d’eau n’absorbe pas dans l’infrarouge proche entre 13 et 14 micromètres. En combinant différentes longueurs d’ondes, on peut créer des canaux satellites qui sont sensibles à des composés atmosphériques spécifiques. Afin de rendre ces canaux visibles pour l’humain, il suffit de leur attribuer des couleurs pour mettre en lumière (c’est le cas de le dire !) des propriétés particulières de l’atmosphère. C’est le procédé de fausse couleur, appelé ainsi car les couleurs attribuées ne représentent pas ce que l’humain verrait (ou respectivement ne verrait pas). Grâce à ce procédé, on peut visualiser des processus atmosphériques qui ne seraient pas visibles si on se trouvait sur ces mêmes satellites. On arrive ainsi à « voir » au-delà de ce que l’évolution nous a offert, c’est-à-dire en dehors du spectre du visible, qui représente la partie la plus énergétique de la lumière du soleil.

Un exemple concret d’un tel jeu de couleurs est celui du produit satellite « airmass RGB » visible sur l’image en introduction de ce blog. Ce produit utilise les bandes d’absorption de la vapeur d’eau et de l’ozone pour visualiser les nuages de moyenne et haute altitude, distinguer les masses d’air polaire riches en ozone des masses d’air tropical pauvres en ozone et différencier l’air humide de l’air sec. Seule l’humidité dans la moyenne et haute troposphère est représentée. L’interprétation des couleurs est la suivante : en bleu apparaissent les masses d’air polaires, en vert les masses d’air tropicale, en rouge les masse d’air sèches (reflétant souvent la position du jet stream), en blanc les nuages épais (par exemple associés à des fronts ou des orages). Ces images permettent d’apprécier la beauté de l’atmosphère : on voit la convection matérialisée par des orages dans les tropiques et surtout les dépressions extratropicales qui tourbillonnent là où les masses d’air polaires et tropicales se rencontrent, permettant ainsi de redistribuer le surplus d’énergie des tropiques vers les pôles et jouant ainsi un rôle primordial dans le cycle énergétique de l’atmosphère. Vous trouverez une description plus détaillée d’une telle image satellite dans ce blog qui propose un tour du monde météorologique.

Zoom sur le nord-ouest du Pacifique

Une vue plus détaillée sur le nord-ouest du Pacifique nous permet d’admirer la beauté d’une dépression au large de la péninsule de Kamtchatka tout à l’est de la Russie (Figure 2). On peut y apprécier les nuages frontaux qui tournent autour du centre de la dépression, prenant la forme typique d’une virgule. On voit aussi l’air sec en rouge qui déferle à l’arrière du front froid (voir ce blog sur les ceintures d’écoulement). Finalement, le conflit entre les masses d’air polaire et tropical est bien visible le long du front avec les contrastes entre vert et bleu.

La portée de nos sens est limitée

Ces images témoignent non seulement de la beauté des phénomènes atmosphériques, mais nous rappellent aussi que nos sens sont limités. On ne voit pas dans l’infrarouge et l’ultraviolet, pourtant ce rayonnement est de la même nature que la lumière visible. Tout comme les micro-ondes et les ondes radio, pourtant on les utilise massivement dans la communication et la télédétection radar. On ne voit pas le champ magnétique terrestre, sauf quand il interagit avec les vents solaires et se manifeste sous forme d’aurore polaire. Pourtant les cétacés y sont sensibles et cela devait être un avantage génétique, puisque l’évolution leur a laissé cette propriété qu’ils utiliseraient pour s’orienter. Notre perception du monde est limitée à celle de nos sens qui ont été optimisés par l’évolution et nos besoins d’êtres humains (cette thématique est reprise dans la nouvelle de Maupassant, Le Horla). La science nous permet d’aller au-delà, en inventant des instruments sensibles en dehors de notre champ de vision ou d’audition ou à d’autres grandeurs physiques. Il nous faut par contre toujours ramener leurs mesures à nos sens pour les interpréter, comme par exemple dans le processus de sonification, utilisé notamment par la NASA pour écouter les trous noirs. C’est là où science et art se rejoignent pour témoigner de la beauté de l’Univers ! Ne serait-ce pas une invitation à apprécier le travail de l’évolution qui nous permet d’admirer la nature et de ce fait nous invite à en prendre soin ?