Les limitations de la théorie du front polaire
Le modèle norvégien ou « théorie du front polaire » laisse beaucoup de questions ouvertes : est-ce qu’une dépression se forme forcément le long d’un front existant ? Pourquoi la perturbation initiale s’intensifie ? Quelle est la source d’énergie de la dépression ? Nous tentons de répondre à ces questions ci-dessous. À noter qu’étant donné que le modèle norvégien est basé sur des observations de surfaces, il ne tient pas compte des conditions dans la haute troposphère et n’explique pas la structure verticale des cyclones extratropicaux. Or, l’évolution d’une dépression au sol est fortement contrôlée par la dynamique de l’atmosphère en altitude. Les ondulations et variations de vitesse du jet-stream sont la cause principale du processus de cyclogénèse, c’est-à-dire la formation d’un cyclone extratropical. Quant à sa dissipation, il faudrait considérer sa structure verticale pour l’expliquer. Ces sujets feront partie peut-être d’un prochain blog.
Pour répondre aux questions ci-dessus, il faut considérer l’aspect énergétique des cyclones extratropicaux. Comme beaucoup de phénomènes naturels, tout commence par le soleil : étant donné que les régions polaires reçoivent moins d’énergie du soleil que les tropiques, il existe une différence de température moyenne entre les pôles et les tropiques. Cette différence de température est la source d’énergie des cyclones extratropicaux. En effet, on peut visualiser ce contraste de température entre les pôles et les tropiques comme une différence de densité entre deux fluides, tel que représenté dans la Figure 2 à gauche. Le fluide chaud et léger représente l’air tropical et le fluide froid et dense, l’air polaire. Imaginons qu’un mur sépare ces deux fluides (Figure 2 à gauche). Si on enlève ce mur, le fluide plus lourd va s’écouler en dessous du fluide plus léger : de l’énergie potentielle a été convertie en mouvement dans le réarrangement des fluides. L’état initial représente donc un état d’énergie potentielle plus élevée que l’état final. Cet état initial est donc instable : il suffit d’enlever le mur, pour entraîner le mouvement des fluides. C’est comme si on met une balle au sommet d’une pente : il suffit de la pousser un tout petit peu pour qu’elle roule vers le bas. C’est la même chose pour la naissance d’un cyclone extratropical : il suffit d’une petite perturbation (le fait de pousser la balle) pour que la dépression s’intensifie (la balle accélère). L’instabilité de ce contraste de température entre les pôles et l’équateur est la raison pour laquelle une perturbation grandit en cyclone extratropical dans l’atmosphère. D’un point de vue énergétique, le rôle des cyclones extratropicaux est de redistribuer l’excédent d’énergie dans les tropiques vers les pôles. En effet, comme les tropiques reçoivent plus d’énergie du soleil qu’ils en émettent vers l’espace, ils ont un excédent d’énergie. Au contraire, les pôles reçoivent moins d’énergie du soleil qu’ils en émettent vers l’espace : ils ont un déficit d’énergie. Il doit donc exister un mécanisme pour redistribuer cette énergie entre les tropiques et les régions polaires, sinon ces dernières se refroidiraient constamment. Les cyclones extratropicaux permettent d’établir un équilibre énergétique entre les tropiques et les pôles et jouent donc un rôle crucial dans le cycle énergétique de l’atmosphère.
Nous avons donc répondu à la question de pourquoi une perturbation s’intensifie et quelle est la source d’énergie des cyclones extratropicaux. Il y a encore la question de la condition de l’existence d’un front dans la théorie du front polaire. Même si beaucoup de dépressions se forment le long d’un front existant, comme observé par les météorologues norvégiens à l’origine de la théorie du front polaire, il n’est pas nécessaire d’avoir un front existant pour former un cyclone extratropical. La différence de température moyenne entre les pôles et les tropiques représente suffisamment d’instabilité pour former une dépression. Il est clair que quand des différences de température horizontale plus grandes existent (c’est-à-dire le long d’un front), l’instabilité est plus élevée et la dépression s’intensifiera plus vite. Mais cela n’est pas une condition nécessaire.