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Naissance et vie d’une dépression

MétéoSuisse-Blog | 23 novembre 2022
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Les dépressions des moyennes latitudes, aussi appelées cyclones extratropicaux, sont des centres de basses pressions qui peuplent les régions du globe en dehors des tropiques et sont associés à des conditions météorologiques perturbées (précipitations, vent, nuages). Comme ils sont responsables de la plupart des précipitations dans les moyennes latitudes, ils font l’objet de recherche approfondie depuis le début de la météorologie. Mais comment se forme une dépression et comment évolue-t-elle ? Nous apportons quelques éléments de réponse dans ce blog, de la manière la plus simplifiée que possible, mais autant précise que nécessaire.

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La théorie du front polaire

Après la Première Guerre Mondiale, des scientifiques de l’école norvégienne de météorologie ont établi, à partir d’observations de surface, un modèle conceptuel des cycles de vie des cyclones extratropicaux. Ce modèle est connu sous le nom de modèle norvégien des cyclones ou théorie du front polaire. À noter que nous nous référons dans cet article uniquement aux cyclones extratropicaux, qui sont fondamentalement différents des cyclones tropicaux. Par souci de simplification, nous décrivons ci-dessous les cycles de vie d’une dépression dans l’hémisphère nord. Le modèle est tout autant valable dans l’hémisphère sud, il faut juste se rappeler que l’air froid polaire sera au sud de la dépression et l’air chaud tropical au nord.

Le modèle norvégien part du principe qu’une dépression naît le long d’un front existant qui sépare l’air froid polaire au nord de l’air chaud subtropical au sud : c’est le front polaire. Ce front est initialement stationnaire (c’est-à-dire qu’il ne se déplace pas du nord au sud, voir Figure 1a). Si une petite perturbation est introduite sur ce front (cela peut-être dû aux ondulations du jet-stream ou à une chaîne de montagne), une circulation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre s’initie : un centre de basse pression se forme le long du front. Cette circulation transporte l’air froid vers le sud et l’air chaud vers le nord (Figure 1b). La limite représentant l’avancée de l’air froid vers le sud représente le front froid et celle qui marque la progression de l’air chaud vers le nord se nomme le front chaud. Par la suite, cette perturbation s’intensifie et étant donné que le front froid progresse plus vite que le front chaud, l’air subtropical est « coincé » entre les deux fronts : c’est le secteur chaud (Figure 1c). Cela représente le stade mature du cyclone extratropical. À mesure que le front froid progresse, ce dernier finit par rattraper le front chaud : c’est l’occlusion. Le secteur chaud est de plus en plus étroit et le centre de la dépression se retrouve par conséquent dans l’air froid. L’endroit où le front froid, le front chaud et le front occlus se rejoignent se nomme le point triple, car c’est là où les différentes masses d’air se rencontrent. L’occlusion représente le stade avancé de la dépression et à mesure que le secteur chaud se fait complètement « pincer » entre les deux fronts, la dépression s’affaiblit et finit par se dissiper. Le cycle de vie d’une dépression peut durer entre quelques jours et un peu plus d’une semaine.

Les limitations de la théorie du front polaire

Le modèle norvégien ou « théorie du front polaire » laisse beaucoup de questions ouvertes : est-ce qu’une dépression se forme forcément le long d’un front existant ? Pourquoi la perturbation initiale s’intensifie ? Quelle est la source d’énergie de la dépression ? Nous tentons de répondre à ces questions ci-dessous. À noter qu’étant donné que le modèle norvégien est basé sur des observations de surfaces, il ne tient pas compte des conditions dans la haute troposphère et n’explique pas la structure verticale des cyclones extratropicaux. Or, l’évolution d’une dépression au sol est fortement contrôlée par la dynamique de l’atmosphère en altitude. Les ondulations et variations de vitesse du jet-stream sont la cause principale du processus de cyclogénèse, c’est-à-dire la formation d’un cyclone extratropical. Quant à sa dissipation, il faudrait considérer sa structure verticale pour l’expliquer. Ces sujets feront partie peut-être d’un prochain blog.

Pour répondre aux questions ci-dessus, il faut considérer l’aspect énergétique des cyclones extratropicaux. Comme beaucoup de phénomènes naturels, tout commence par le soleil : étant donné que les régions polaires reçoivent moins d’énergie du soleil que les tropiques, il existe une différence de température moyenne entre les pôles et les tropiques. Cette différence de température est la source d’énergie des cyclones extratropicaux. En effet, on peut visualiser ce contraste de température entre les pôles et les tropiques comme une différence de densité entre deux fluides, tel que représenté dans la Figure 2 à gauche. Le fluide chaud et léger représente l’air tropical et le fluide froid et dense, l’air polaire. Imaginons qu’un mur sépare ces deux fluides (Figure 2 à gauche). Si on enlève ce mur, le fluide plus lourd va s’écouler en dessous du fluide plus léger : de l’énergie potentielle a été convertie en mouvement dans le réarrangement des fluides. L’état initial représente donc un état d’énergie potentielle plus élevée que l’état final. Cet état initial est donc instable : il suffit d’enlever le mur, pour entraîner le mouvement des fluides. C’est comme si on met une balle au sommet d’une pente : il suffit de la pousser un tout petit peu pour qu’elle roule vers le bas. C’est la même chose pour la naissance d’un cyclone extratropical : il suffit d’une petite perturbation (le fait de pousser la balle) pour que la dépression s’intensifie (la balle accélère). L’instabilité de ce contraste de température entre les pôles et l’équateur est la raison pour laquelle une perturbation grandit en cyclone extratropical dans l’atmosphère. D’un point de vue énergétique, le rôle des cyclones extratropicaux est de redistribuer l’excédent d’énergie dans les tropiques vers les pôles. En effet, comme les tropiques reçoivent plus d’énergie du soleil qu’ils en émettent vers l’espace, ils ont un excédent d’énergie. Au contraire, les pôles reçoivent moins d’énergie du soleil qu’ils en émettent vers l’espace : ils ont un déficit d’énergie. Il doit donc exister un mécanisme pour redistribuer cette énergie entre les tropiques et les régions polaires, sinon ces dernières se refroidiraient constamment. Les cyclones extratropicaux permettent d’établir un équilibre énergétique entre les tropiques et les pôles et jouent donc un rôle crucial dans le cycle énergétique de l’atmosphère.

Nous avons donc répondu à la question de pourquoi une perturbation s’intensifie et quelle est la source d’énergie des cyclones extratropicaux. Il y a encore la question de la condition de l’existence d’un front dans la théorie du front polaire. Même si beaucoup de dépressions se forment le long d’un front existant, comme observé par les météorologues norvégiens à l’origine de la théorie du front polaire, il n’est pas nécessaire d’avoir un front existant pour former un cyclone extratropical. La différence de température moyenne entre les pôles et les tropiques représente suffisamment d’instabilité pour former une dépression. Il est clair que quand des différences de température horizontale plus grandes existent (c’est-à-dire le long d’un front), l’instabilité est plus élevée et la dépression s’intensifiera plus vite. Mais cela n’est pas une condition nécessaire.

Exemple concret cette semaine : cyclogénèse dans l’Atlantique Nord

Étant donné que la différence de température entre les tropiques et les pôles est plus élevée pendant le semestre hivernale (car les pôles ne reçoivent pratiquement plus de soleil) et que l’énergie des cyclones extratropicaux se trouve dans ce contraste thermique, c’est entre octobre et mars que les dépressions sont les plus fréquentes et les plus intenses. Il suffit de regarder ce qu’il se passe actuellement dans l’Atlantique Nord pour y découvrir une foison de cyclogénèse de toute beauté. La Figure 3 montre la situation ce dimanche 20 novembre. Un front existant lié à une dépression entre le Groenland et l’Islande s’étire jusque sur la côte est du Canada, où se trouve un creux barométrique (une zone de basse pression). Cela représente le premier stade du modèle norvégien (Figure 1a). Seulement douze heures plus tard (Figure 4), une perturbation sous la forme d’une circulation cyclonique prend forme le long de ce front qui est désormais déformé : l’air froid se déplace vers le sud et l’air chaud vers le nord. C’est le stade de la perturbation selon la théorie du front polaire (Figure 1b). Six heures plus tard (Figure 5), la perturbation forme une dépression fermée : le cyclone extratropical est né ! Le front se déplace rapidement et un secteur chaud entre les deux fronts se forme : c’est le stade mature (Figure 2c). Trente-six heures plus tard (Figure 6), mardi à minuit, le cyclone est occlus et le centre de la dépression s’est éloigné du secteur chaud et se trouve désormais dans l’air froid : c’est le stade occlus (Figure 2d). Cette dépression a continué son chemin en direction de l’Europe et son front s’est pratiquement totalement occlus. Il se trouve, à l’heure où l’auteur de ce blog s’apprête à prendre congé de vous, juste au-dessus de nos têtes et nous amène des précipitations étendues. Voilà, vous savez maintenant comment une petite perturbation au nord-est du Canada a grandi en cyclone extratropical et vous apporte actuellement de la pluie ou de la neige, si vous avez la chance de vous trouver suffisamment en altitude.