Des températures de saison font leur retour en Suisse cette semaine après une séquence de fraîcheur remarquée. Comment situer cet épisode frais dans les températures de l’année 2023 ?
Nous sommes à présent sortis d’une séquence automnale qui a commencé vendredi dernier, et qui aura vu par endroits un saupoudrage neigeux jusque vers 2000 m. Les températures moyennes au nord des Alpes sont descendues à des valeurs proches des normales de mi-septembre.
Nous pouvons essayer de situer cet épisode frais en comptant les journées où la température moyenne s’est écartée de la norme de plus de 4 °C, dans un sens ou dans l’autre. En comptant ainsi, depuis le début de l’année 2023, on obtient à Genève-Cointrin 39 jours anormalement chauds contre seulement 6 jours anormalement froids. Toujours en comptant les jours où la température moyenne s’écarte de plus de 4 °C de la norme, on recense en 2023 :
Vous pouvez retrouver ces données par vous-mêmes sur l’App ou le site de MétéoSuisse, comme nous vous le rappelions dans le blog du 7 août.
À Genève, la séquence fraîche de ces derniers jours comprend à elle seule 3 de ces 6 journées anormalement froides. Il est donc logique que cet épisode soit perçu comme plus marquant, car plus rare, que les nombreuses séquences anormalement chaudes.
Pour tenter de visualiser l’évolution du nombre de périodes « très fraîches » au cœur de l’été sur une plus longue période, nous avons recensé depuis 1960 le nombre de jours en juillet et août où la température moyenne s’est abaissée de plus de 8 °C sous la norme. Malgré une forte variabilité interannuelle, la tendance à la baisse saute aux yeux pour les stations du Jungfraujoch et du Grand-Saint-Bernard. À Genève, la multiplication des étés « sans » semble aussi assez claire.
De nombreuses personnes ressentent même cet été tout entier comme relativement frais. On ne peut pas contredire un sentiment ! Toutefois, on peut affirmer que l’été 2023 est jusqu’ici anormalement chaud par rapport aux normes 1991-2020, et le restera à cause de la tendance chaude qui se dessine à partir de la fin de semaine et dont nous aurons l’occasion de reparler. L’été 2023 devrait figurer sans difficulté parmi 10 les étés les plus chauds depuis le début des mesures.
Ceci illustre en réalité que la norme 1991-2020 utilisée sur ces graphiques ne correspond probablement déjà plus au climat actuel de la Suisse. Il est difficile d’établir une norme dans un climat qui évolue rapidement, comme le blog du 18 juillet l’évoquait.
Nos perceptions s’adaptent finalement en très peu de temps, seulement quelques années alors que les normes en demandent trente. La mémoire climatique est courte, et ce particulièrement pour les personnes (hélas toujours plus nombreuses) ayant peu de contact quotidien avec la nature et le monde extérieur. Les événements extrêmes vécus de façon personnelle impactent aussi lourdement le ressenti climatique, mais ces événements sont si rares à l’échelle d’une vie humaine qu’il est difficile d’en tirer raisonnablement des conclusions.
Est-ce à dire qu’il ne faut pas se fier à ses yeux ni à sa mémoire, abandonner son expérience sensible au profit des seuls chiffres, et faire aveuglément confiance aux experts du climat ? Absolument pas ! Nous n’encourageons personne à abdiquer son ressenti personnel, mais au contraire à en faire un usage libre, conscient et critique.
Des nombreux éléments visibles permettent de lisser le « bruit » de la mémoire météorologique et de dépasser la courte durée de la mémoire climatique, selon ce que chacun connaît le plus intimement et depuis le plus longtemps : l’étendue des glaciers, la limite supérieure des forêts, la période des fenaisons, le débit des rivières, et bien d’autres encore. Bien sûr, pour ces indices comme pour tout, le recul et l’esprit critique sont indispensables. Mais de façon générale, celui qui est familier de l’environnement et du rythme des saisons n’a nul besoin de chiffres pour voir l’évidence de ce qui advient.
Les statistiques, les mesures et la science viennent ensuite, pour aider à quantifier ce que le bon sens apprend (ou plus rarement à révéler ce que le bon sens n’apprend pas !), à étendre les perspectives dans le temps ou l’espace, à comprendre les raisons et les mécanismes… et c’est là que les météorologues se font un plaisir et un devoir d’intervenir.
Nous espérons que les quelques graphiques présentés ci-dessus seront utiles à la réflexion de nos lecteurs. Mais que cela n’empêche personne d’aller voir et juger de ses propres yeux !