Pic dans l’après-midi et coup de joran dans la nuit
Comme le montre la Figure 3, le vent s’est renforcé en cours de journée pour atteindre son paroxysme en fin de journée pour la plupart des régions. Cela est dû à la combinaison de deux facteurs qui expliquent ces rafales particulièrement fortes. Le premier est que la dépression Patricia était au plus proche de la Suisse pendant cette période et donc le gradient de pression associé était aussi le plus fort sur la Suisse. Le deuxième est que c’est justement en fin de journée que les rafales ont tendance à être les plus fortes. On peut raisonnablement penser que si l’horaire de Patricia eut été avancé ou retardé, on n’aurait pas forcément eu des rafales si fortes. Explication : une rafale de vent en plaine n’est souvent rien d’autre que le vent à plus haute altitude qui « pose » jusqu’au sol. Pour que cela se produise, il faut que les basses couches de l’atmosphère soient instables, ce qui brasse l’air et permet au vent en altitude de « se poser ». C’est justement l’après-midi que l’air dans les basses couches est le plus instable, à cause du réchauffement diurne (c’est aussi pour ça que les orages ont souvent tendance à se former l’après-midi), et donc qu’en général le vent est plus fort en journée et qu’il se calme pendant la nuit. C’est donc bien le timing de la trajectoire de Patricia par rapport à l’heure de la journée qui a probablement conduit à des rafales si fortes. Certes, mais pourquoi alors la rafale la plus forte en plaine a été mesurée en pleine nuit ?! Pour comprendre cela, il faut savoir qu’il y a d’autres phénomènes physiques que le gradient de pression (et cette instabilité de l’air qui permet au vent en altitude de poser) qui expliquent des fortes rafales. Il y a aussi la gravité qui joue un rôle quand on a des montagnes. Le joran est un vent dit catabatique dont la force principale est le poids de l’air froid (donc dense) qui déferle le long du Jura à l’arrière du front froid. C’est comme une avalanche d’air froid qui coule le long du Jura (voir explication dans ce blog). Le joran se produit donc souvent après le passage d’un front froid. Comme le front froid est passé dans la nuit, en plus du gradient de pression qui était encore relativement fort, l’air plus froid qui a déferlé le long du Jura a permis d’accélérer le vent et a conduit à cette rafale tempétueuse à Neuchâtel. À noter que le joran « pur » souffle du nord-ouest (plus ou au moins perpendiculaire à la chaîne du Jura). Dans le cas de cette rafale à Neuchâtel, il s’agissait probablement d’une combinaison du vent de sud-ouest et du joran qui a donné une rafale de secteur ouest-nord-ouest. La Figure 4 montre les vents mesurés sur le Plateau romand hier après-midi (à gauche) et dans la nuit (à droite). On voit que l’après-midi le vent est orienté au sud-ouest et est fort en toute région. Pendant la nuit, il prend une orientation plus ouest au pied du Jura où les rafales sont plus fortes que dans les autres régions. C’est bien à Neuchâtel que le vent prend une orientation la plus nord-ouest et on peut donc supposer que c’est là que le joran a été le plus fort et que la rafale à 100 km/h est bien due à cette composante jorassante. À noter que sur le Haut-Lac (la partie est du Léman), le vent prend également une orientation nord-ouest. Cela est dû en partie à la topographie très raide de la région (Mont Pèlerin et Rochers-de-Naye), qui créé un effet similaire au joran, et en partie à une canalisation du vent en entrant dans la vallée du Rhône (surtout vers Villeneuve et le Bouveret).