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Situation orageuse explosive (mise à jour)

MétéoSuisse-Blog | 22 juin 2023
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La situation orageuse qui se profile pour ce jeudi 22 juin fait partie de celles dont rêvent la plupart des météorologues car elle est loin d’être fréquente. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises dans ce blog, le déclenchement ou non des orages ainsi que leur virulence dépendent d’une multitude de facteurs qui sont rarement présents simultanément et en phase. Or demain, ce sera le cas ! Petit tour d’horizon et aperçu des risques encourus...

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Les ingrédients orageux

Un orage, c’est un peu comme un baril de poudre. Il peut être petit ou grand, rempli à moitié, aux trois quarts ou entièrement ; c’est ce qu’on appelle le potentiel orageux, que l’on mesure en météorologie par une valeur appelée le CAPE (Convective Available Potential Energy) ou énergie potentielle de convection.

La mise à feu du baril de poudre dépend quant à elle du nombre d’étincelles qui se produiront, éléments extérieurs appelés « déclencheurs » (trigger en anglais). Concernant les orages, on répertorie trois éléments déclencheurs principaux : la température de déclenchement (corrélée à l’ensoleillement), les zones de convergence et la dynamique d’altitude.

La virulence et la durée de vie des orages sont quant à elles fortement liées à une caractéristique de l’atmosphère appelée le cisaillement, soit la variation de vitesse et/ou de direction du vent avec l’altitude. Plus le cisaillement est important, plus les orages ont la capacité de s’organiser en ligne de grain ou en supercellule potentiellement dévastatrice.

Tous les ingrédients orageux listés ci-dessus peuvent être présents dans des valeurs plus ou moins grandes. Il est très rare qu’ils se présentent tous en même temps au guichet avec des valeurs élevées. C’est pourtant ce qui se produira demain jeudi.

La situation du jeudi 22 juin

L’énergie potentielle de convection attendue jeudi fait partie de celle qu’on ne voit pas tous les jours en service de prévision. Elle se calcule en Joules par kilo d’air et le graphique ci-dessous montre les valeurs prévues par les différents quantiles de la prévision d’ensemble. La grande case de gauche correspond à la médiane, ce qui signifie que la moitié des membres de l’ensemble prévoit un CAPE plus élevé, et la moitié des membres un CAPE plus faible que celui représenté. Un coup d’œil à l'échelle située sur la gauche montre bien que l’on se trouve dans le haut du panier, en particulier en Ajoie, dans les Préalpes et en Suisse alémanique.

Jetons maintenant un coup d’œil au profil atmosphérique prévu par COSMO 1 pour Payerne le jeudi 22 à 12 UTC. La zone en rouge correspond au CAPE, dont la valeur maximale prévue est de 2535 J/kg. La couche d’air située vers 850 hPa est intéressante car elle est à la fois très sèche et pourvue d’un « nez chaud », sorte de boursouflure dans la courbe des températures. Cette couche sèche entraînera l’évaporation d’une partie des précipitations, générant un réservoir d’air froid et dense, qui pourrait – en plus du vent de gradient déjà présent – s’effondrer sur le sol et générer de très fortes rafales de vent (ce phénomène est expliqué dans notre article du 18 juin).

La présence d’un nez chaud dans le profil atmosphérique a pour effet de retarder la convection jusqu’à ce que des températures suffisamment élevées soient présentes pour le surmonter (ou jusqu’à ce que le profil se modifie pour le faire disparaître). Quoi qu’il en soit, ce nez chaud empêche que l’énergie convective ne se dissipe dans de multiples cellules très précoces (c’est en quelque sorte le couvercle sur la cocotte-minute).

Le cisaillement du vent quant à lui – ici de plus de 40 kt (près de 80 km/h) – sera suffisamment important pour organiser les orages en lignes de grain ou supercellules.

Enfin, l’indice de soulèvement (Lifted Index) représentant la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur de l’orage à 500 hPa (environ 5500 m) donne une idée de la force du courant ascendant, souvent très bien corrélée avec la taille des grêlons. En l’occurrence, l’indice de soulèvement ici présent correspondrait à des grêlons de 2 cm environ, à ne pas prendre au pied de la lettre évidemment…

Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, la vapeur d’eau est le principal « carburant » des orages. C’est elle qui, en se condensant, libère la chaleur latente dont elle est porteuse et fournit l’énergie nécessaire à la convection ; elle donne également une idée des cumuls de pluie possibles. Dans un profil atmosphérique, il est possible de calculer l’eau présente dans la colonne d’air à un moment et en un point donné. Dans le radiosondage ci-dessus, cette valeur est de 32 mm (litres par mètre carré) ; on considère cette valeur comme significative au-dessus de 25 mm et élevée au-dessus de 35 mm. On peut également visualiser ce paramètre sous forme de carte, comme celle ci-dessous, correspondant à la prévision de IFS pour jeudi à 12 UTC :

Voilà pour le baril de poudre ! Passons maintenant aux éléments déclencheurs qui sont légion.

Tout d’abord, une ligne de convergence en basse couche sera présente à l’ouest de la Suisse à la mi-journée. Les lignes de convergence ont pour effet de forcer la masse d’air à s’élever (faute de pouvoir descendre au sous-sol), jusqu’à atteindre peut-être le niveau de convection libre (« LFC » dans le radiosondage ci-dessus) au-delà duquel l’air montera tout seul, étant plus léger que son environnement (comme une mongolfière).

Si la zone de convergence contribue à « pousser » l’air vers le haut, la dynamique d’altitude peut agir quant à elle comme un « aspirateur » produisant dans la haute troposphère un effet divergent. Cela se produit lorsque la configuration du flux vers 300 hpa est très cyclonique ou qu’un cœur de jet est présent (ou les deux en même temps). En l’occurrence, jeudi à la mi-journée, une onde courte cyclonique pourvue d’un cœur de jet se présentera aux portes de la Suisse ; la zone encadrée dans l’image ci-dessous est la plus propice aux ascendances dynamiques :

Conclusion

Ce bref aperçu de la situation attendue pour demain nous montre que les planètes sont bien alignées pour produire un événement significatif, probablement virulent quelque part en Suisse. En ce qui concerne la Romandie, un seul bémol existe, l’ensoleillement ! En effet, les modèles prévoient pour la partie sud-ouest du pays un ensoleillement nettement réduit par rapport aux autres régions, or le réchauffement diurne fait partie des éléments déclencheurs des orages. Ce déficit d’ensoleillement pourrait prétériter le bassin lémanique ou les Préalpes romandes par rapport à des régions plus ensoleillées comme l’Ajoie, le centre et l’est du Plateau, les Grisons ou encore le Haut-Valais.

Compte tenu du contexte, gardons-nous cependant d’accorder trop d’importance à ce paramètre. Il est très probable qu’il se passe quelque chose jeudi après-midi ou en soirée quelque part en Suisse tant sont nombreux les facteurs présents et tant est grande leur simultanéité. Grêle, rafales tempétueuses, importants cumuls de précipitations, tout est possible. Où et quand exactement, nous n’en savons rien et n’en saurons pas plus avant que Dame Nature ne dévoile son jeu, raison pour laquelle nous avons ratissé large avec la carte de danger. Il est possible que l’Engadine rentre dans le rang d’ici à jeudi matin, ou encore que le degré de danger monte d’un cran ; à suivre…

En attendant, nous pouvons prendre des dispositions pour éviter d’être trop impactés au cas où les foudres de Jupiter choisiraient de s’abattre précisément sur nous. Scrutez le ciel en direction du sud-ouest, et si vous voyez arriver le type de nuage ci-dessous, rentrez chez vous et fermez vos volets, les assurances vous en seront reconnaissantes !

Ce jeudi, la situation n'a pas changé, c'est pourquoi le préavis d'orage violent est maintenu tel quel. Le suivi plus précis se fera au moyen de "flashes orages", qui sont envoyés dès que possible, mais entre 30 minutes et 2h avant l'arrivée d'une cellule orageuse potentiellement violente.

Le ciel nuageux et la très lente montée des températures en ont fait douter plus d'un. Le potentiel est néanmoins toujours bien présent. La période la plus risquée peut maintenant être précisée : entre 17h et 20h locales environ. Le risque de fortes rafales, de l'ordre de 90 à 120 km/h, est toujours élevé en toutes régions. On attend  localement des intensités de pluie de 20 à 40 mm par heure.