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Intempéries dévastatrices dans le sud-est de l'Espagne

MétéoSuisse-Blog | 01 novembre 2024
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Mardi 29 octobre 2024, certaines régions d'Espagne ont été frappées par des orages exceptionnellement violents. Dans ce blog, nous donnons un aperçu des divers ingrédients météorologiques qui ont concouru à ces précipitations extrêmes.

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Comme toujours lors d'événements extrêmes, plusieurs facteurs se conjuguent de manière défavorable et entraînent des intempéries dévastatrices avec des répercussions massives sur les personnes et les infrastructures. Nous illustrons ci-dessous les principaux processus qui ont probablement été à l'œuvre dans le cas des intempéries survenues dans le sud-est de l'Espagne.

Dans la région de Valence, l'arrière-pays de la plaine côtière a enregistré par endroits plus de 300 mm de précipitations en quelques heures. Le service météorologique espagnol AEMET annonce à Chiva un total de 491 mm de précipitations en 8 heures, ce qui correspond à peu près à la quantité annuelle de précipitations à cette station ! Les médias sociaux font également état de plus de 600 mm mesurés par des stations météorologiques privées.

"Forçage" dans les hautes couches de l'atmosphère

Dans le contexte des orages, le terme "forçage" désigne tous les facteurs qui entraînent du soulèvement à grande échelle dans l'atmosphère avant et pendant la phase proprement dite des systèmes orageux qui se développent à l'échelle locale ou régionale. Ces processus de soulèvement favorisent la déstabilisation et l'humidification des masses d'air dans lesquelles se développent les orages. Il ne faut pas confondre les processus de soulèvement à grande échelle (de l'ordre du centimètre à quelques mètres par heure) avec les zones de vents ascendants dans les différentes cellules orageuses à petite échelle. Ces dernières en sont une conséquence et sont nettement plus rapides (plusieurs mètres à 100 mètres par seconde !).

La péninsule ibérique était en l'occurrence située à proximité d'une goutte froide. Celle-ci s'est progressivement isolée le 24 octobre à l'ouest des îles Britanniques et s'est ensuite déplacée vers le sud en direction de l'Espagne, où elle est restée plus ou moins fixe depuis le 27 octobre.


Le courant-jet sur le flanc sud-est de cette dépression d'altitude est remarquablement fort. La "sortie gauche" du jet est la zone dans laquelle le soulèvement à grande échelle est maximal. Cette zone se situait en première partie de journée sur les régions du sud du pays et s'est déplacée en cours de journée le long de la côte méditerranéenne en direction de l'est de l'Espagne.

Apport d'humidité dans la basse troposphère

En surface (près du sol), on distingue une zone de basse pression à l'ouest du détroit de Gibraltar. Sur son flanc oriental, elle pilote un fort courant de secteur sud-est, qui arrive presque à angle droit de la Méditerranée vers la côte. Avec des points de rosée de 17 à 20 degrés, cette masse d'air était très humide et fournissait l'énergie, ou le "carburant", pour les orages qui se régénéraient constamment pendant des heures dans l'arrière-pays. Dans les représentations suivantes, cet apport important d'humidité est visualisé au moyen de la CAPE, la "Convective Available Potential Energy", ainsi que du vent près du sol.

Ces processus de soulèvement des couches d'air supérieures et l'apport important d'humidité près du sol se sont maintenus toute la journée. La persistance de ces ingrédients nécessaires à grande échelle pour les orages violents est au coeur de cette situation orageuse.

Le rôle du sable saharien ?

Un troisième facteur important est l'afflux de masses d'air en provenance d'Afrique du Nord à la périphérie sud de la dépression. Les illustrations suivantes montrent des trajectoires de retour pour une arrivée à Gandia, sur la côte au sud de Valence. Elles illustrent d'une part l'apport d'humidité au sol décrit plus haut, en provenance de la Méditerranée, en dessous de 900 hPa environ. D'autre part, de l'air arrivant à 800 ou 700 hPa s'est écoulé vers l'Espagne en provenance du Sahara durant la première moitié de la journée, les signatures correspondantes sur les images satellites trahissant également la présence de poussière du Sahara. Cette dernière semble toutefois avoir touché les zones côtières du sud de l'Espagne plutôt que les zones principalement touchées au nord de la Costa Blanca, dans la région de Valence. On ne sait pas exactement si et comment la poussière du Sahara a influencé cet événement.

En deuxième partie de journée, les trajectoires des surfaces de pression de 800 et 700 hPa montrent une trajectoire partant des régions côtières du Portugal et contournant la dépression via l'ouest de l'Algérie jusqu'à la Costa Blanca, tandis que l'air proche du sol continuait à affluer en provenance du centre et de l'ouest de la Méditerranée, alimentant les orages qui ont duré jusqu'en soirée.


Dans les profils des radiosondages de Murcia, le SAL, le "Saharan Air Layer", est par contre bien reconnaissable en tant que couche d'air entièrement mélangée (la température suit dans la représentation de l'émagramme parallèlement aux adiabatiques sèches, le point de rosée suit les isolignes du rapport de mélange).

Le SAL ne joue pas seulement un rôle important en raison de sa teneur en poussières et autres aérosols qui influencent la formation des précipitations à l'échelle microphysique. Il se caractérise par une grande instabilité, comme le montre la forte diminution verticale de la température. Un paquet d'air s'élevant des couches atmosphériques inférieures subit une forte accélération verticale à ces altitudes, car sa température devient de plus en plus chaude par rapport à l'air environnant et dispose ainsi d'une forte portance (courbe violette sur l'émagramme).

Déclenchement d'orages sur le relief

Pour s'élever dans cette couche d'air instable du SAL, l'air humide proche du sol doit d'abord être soulevé de quelques centaines de mètres. Ce n'est qu'après avoir franchi une fine couche d'air stable, reconnaissable dans le profil vertical de Murcia par une légère diminution verticale de la température juste en dessous de 900 hPa, que l'air proche du sol peut s'élever jusqu'à la tropopause à environ 10 km d'altitude et libérer l'énergie qu'il a emmagasinée ou faire pleuvoir l'eau qu'il contient. Le fort vent d'est, qui soufflait à 30-50 km/h dans les régions côtières de Valence vers le sud jusqu'à la Costa Blanca, a pu élever sans problème l'air au fort potentiel énergétique (fort CAPE) au-dessus des montagnes côtières situées entre 500 et 1500 m d'altitude.

En outre, ce fort vent de secteur est a également contribué à ce que l'air froid produit dans les zones de précipitations, appelé "cold pool" dans le jargon anglais, ne puisse pas se propager jusqu'à la mer et ainsi empêcher l'arrivée d'air instable humide. Bien au contraire, le courant du sud dans les couches d'air supérieures a rapidement éloigné les précipitations les plus fortes des zones d'ascendance des orages, ce qui a permis au système orageux de se reformer pendant des heures, prenant une signature caractéristique "en V".

Remarques finales sur cette analyse

La complexité des processus dans l'atmosphère, la disponibilité incomplète des données et le manque de temps limitent la recherche plus précise de l'origine de ces orages dévastateurs. Pour pouvoir pondérer les processus mentionnés ci-dessus et mieux cerner les causes principales de cet événement extrême, il faudrait procéder à des simulations détaillées avec des modèles météorologiques à haute résolution. Ces derniers devraient être en mesure de reproduire correctement les quantités de précipitations tombées au niveau régional, du moins dans l'ordre de grandeur observé. Avec de tels modèles de calcul en main, il serait possible de faire des déclarations solides sur les processus détaillés dans l'atmosphère et de tirer des conclusions plus larges que nous ne pouvons le faire ici dans le cadre d'un blog.

Néanmoins, nous espérons que les paragraphes précédents vous auront donné une idée de la complexité de la météorologie et en particulier de ces situations extrêmes.