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"Twisters" le film, ce qui a changé en 30 ans

MétéoSuisse-Blog | 26 août 2024
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Actuellement sur les grands écrans, le nouveau film « Twisters » met en scène des chasseurs d’orages et scientifiques en quête de mieux prévoir les tornades et d’essayer de les neutraliser. Qu’est-ce qu’il y a véritablement changé en presque 30 ans dans la prévision des tornades aux Etats-Unis depuis que le film original « Twister » est sorti en 1996 ? Quelques explications...

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Le nouveau film «Twisters »

Sorti à la mi-juillet aux Etats-Unis et depuis quelques semaines en Suisse, le nouveau film « Twisters » mettant en scène l’actrice principale Daisy Edgar-Jones et l’acteur principal Glen Powell attire tout cinéphile recherchant des émotions fortes en relation avec le phénomène naturel qu’est la tornade, sans à devoir y être confronté en réel. Bien que certains traits dans les deux films tendent à dramatiser les événements, le postulat central et les méthodes scientifiques avancées dans le nouveau film sont bien réels. Alors se pose la question, qu’est-ce qui a véritablement changé dans la prévision des tornades dans un pays comme les Etats-Unis qui comptent en moyenne 1200 tornades sur son territoire par année, depuis que le premier film « Twister » est sorti en 1996 ?

Evolution principale dans la prévision des tornades en 30 ans aux Etats-Unis

Voici les principaux changements qui peuvent être relevés/cités :

  • La Technologie

En 1996, les réseaux sociaux étaient tout au plus naissants, voire encore inexistants. Pas de Facebook, ni d’Instagram, ni d’X (ex-Twitter), ni de TikTok pour témoigner de passages de tornades en direct quasi au même moment qu’elles se produisent. En 1996, le premier réseau social « Six Degrees » voyait le jour et il faudra encore 7 années supplémentaires avant que le réseau « MySpace » soit disponible. Par conséquent, pas d’applications météos sur smartphone non plus, que ce soit pour suivre les animations radars des précipitations, d’être avisés en cas d’éventuelles alertes ou encore de repérer les observations participatives du public (crowdsourcing). Il faudra encore attendre 11 ans avant la sortie du premier iPhone.

  • La prévision

Le centre de prévision des tempêtes de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) connu sous le nom du « Storm Prediction Center (SPC) » se coordonne avec les centres régionaux de prévision à travers le pays et est responsable d’émettre les préavis d’orages violents et de tornades. Ce centre ne bénéficiait pas encore d’une étroite collaboration avec les chercheurs scientifiques d’orages violents en 1996.

C’est que peu de temps après que le centre a entamé son déménagement de Kansas City à Oklahoma City afin de disposer d’une synergie plus étroite avec cette communauté. A l’époque, le SPC émettait des perspectives de risque d’orages violents (pouvant occasionner entre autres des tornades), seulement pour les 2 prochains jours.

Aujourd’hui, ils le font pour les 3 prochains jours et émettent également des perspectives plus lissées pour les 5 jours suivants. Ce qui manquait également en 1996, c’était la possibilité de travailler avec des modèles numériques de prévision « ensemblistes ou probabilistes » qui aujourd’hui permettent d’entrevoir les différents scénarios possibles dans l’évolution des prévisions pour les jours à venir. Les modèles numériques traitant explicitement les phénomènes orageux (convection allowing models, CAMs) n’existaient pas encore non plus. Bien qu’ils ne soient pas toujours d’une grande aide dans la prévision tornadique en elle-même ou de leur formation à un endroit précis, ces modèles permettent souvent de mieux appréhender la virulence à venir des phénomènes orageux sur de larges régions.

  • Les radars

Aux Etats-Unis, le réseau national de radars météorologiques muni de la technologie Doppler (NEXRAD) n’était pas encore totalement achevé en 1996, année de la sortie du premier film « Twister ». Il faudra attendre l’année suivante, 1997, pour que les météorologues puissent commencer à mieux identifier les rotations au sein des cellules orageuses grâce à cette technologie.

Aujourd’hui, la technologie de « double polarisation » employé sur leurs radars leur permet également de différencier la forme des hydrométéores et des débris charriés dans les circulations tornadiques afin de mieux les identifier. Le service national de prévision américain (National Weather Service sous l’égide de la NOAA) a aujourd’hui également de nouvelles stratégies de balayage radar leur permettant de plus rapidement et mieux repérer des changements dynamiques au sein des orages.

Grâce à ces améliorations, cela a permis de gagner 12 minutes en moyenne sur les avertissements de ce phénomène aux Etats-Unis en 30 ans. En Suisse, les choses sont plus compliquées malgré une technologie similaire, de part l’importante topographie présente dans notre pays qui perturbe les environnements orageux et qui rende l’identification des précurseurs du phénomène via radar plus difficile.

  • Les avertissements

En 1996 aux USA, les avis d’orages violents et de tornades (équivalent à nos flash-orages en Suisse) étaient émis pour des comtés entiers. Cela avait tendance à avertir trop de monde, puisque le phénomène orageux, accompagné ou non de tornade, touchait souvent seulement une partie de ce comté, s’agissant d’un phénomène local. En 2007, le National Weather Service (NWS), a développé des avertissements plus fins, épousant plus directement les extrapolations des échos radar prévus sur les prochaines 30 minutes à 1 heure.

En Suisse, cette technologie est également appliquée afin de limiter la portée des flash-orages aux localités les plus à même d’être touchées dans les prochaines minutes. Aux Etats-Unis, compte tenu de leur vulnérabilité face à ce phénomène, aujourd’hui le public bénéficie également de différents types d’alertes à la tornade. Elles sont soient basées sur la simple identification de rotation au sein de l’orage (ce qui ne garantit pas la formation d’une tornade au sol) ou de l’identification visuelle par des témoins d’une violente tornade au sol qui permet de déclencher ce qu’ils appellent des « tornado emergencies », lorsque des tornades potentiellement destructrices se rapprochent des villes.

La longévité, virulence et largeur de certaines tornades au sol en terrain plat aux Etats-Unis (parfois au sol durant 1 heure avec un diamètre supérieur à 1 km) permettent ce genre d’avertissement, ce qui n’est hélas pas possible en Suisse où le terrain très accidenté complique souvent leur formation et où les tornades peu fréquentes ont une durée de vie moyenne de l’ordre de 3-5 minutes seulement.

Aux Etats-Unis, aujourd’hui la population bénéficie en moyenne d’une échéance d’alerte de 15 minutes pour les « tornado warnings », ce qui contraste aux 3 minutes dont ils disposaient en moyenne en 1996. Cela peut paraître très peu, mais cela témoigne de la complexité de formation de ce phénomène local, de son anticipation et de son avertissement, même en terrain plat !

  • Analyses des dégâts sur le terrain

Il existe la fameuse échelle d’estimation d’intensité des tornades basée sur les dégâts qu’elles produisent au sol, nommée l’échelle Fujita. Développée en 1971 aux Etats-Unis par le scientifique japonais Théodore Fujita, cette échelle était donc déjà en utilisation en 1996 pour classifier à postériori l’intensité des tornades de F0 à F5 selon les dégâts produits.

Cependant, certaines limitations liées à cette échelle ont conduit en 2007 à des scientifiques associés à des ingénieurs de développer une version mise à jour appelée l’échelle Fujita améliorée (Enhanced Fujita (EF) Scale).

Aujourd’hui, cette version améliorée permet de prendre en compte un plus large spectre de composition du bâti et permet de mieux faire correspondre l’ampleur des dégâts constatés sur les différentes structures avec la vitesse des vents susceptibles de les avoir provoqués. En Europe, compte tenu d’une philosophie du bâti qui contraste considérablement avec celui en place aux Etats-Unis, une nouvelle échelle vient de voir le jour qui se nomme « The International Fujita Scale ».

Cette dernière permet de prendre en compte les normes de constructions en vigueur dans différentes parties du globe et des différents matériaux utilisés afin d’aboutir à une meilleure estimation globale d’intensité des tornades basés sur les dégâts qu’elles produisent.

Les tornades restent un phénomène difficile à prévoir

Malgré toutes les améliorations technologiques et celles intervenues ces dernières décennies en prévision météorologique, les tornades restent et resteront un phénomène difficile à prévoir plus de 15 minutes à l’avance à un endroit précis, comme les lignes ci-dessus en témoignent. Malgré des modèles de prévision en constante amélioration et des technologies de plus en plus performantes et pointues, la formation d’un phénomène aussi localisé et éphémère reste un gros défi.

Cela s’apparente à la médecine et à l’astrophysique. Plus vous essayez d’analyser et de comprendre l’infiniment tout petit, plus cela devient ardu, car le diable se cache souvent dans les détails. L’atmosphère étant de nature chaotique, plus on s’éloigne de l’échéance zéro (attracteur de Lorenz) plus le désordre/l'incertitude/la dispersion augmente. La même chose s’applique en ce qui concerne la prévisibilité des phénomènes à très petite échelle. Mais les pas déjà accomplis en la matière permettront sans doute de mieux comprendre et prévoir ces « twisters » à l’avenir, aussi petit ces pas soient-ils…