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Une nuit en salle de prévision

MétéoSuisse-Blog | 06 mars 2024
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Vous ne le savez peut-être pas, mais au moins un ou une météorologue est en poste 24 heures sur 24 au centre de prévision de Genève. Je vous propose aujourd’hui de m’accompagner une nuit en salle de prévision afin de découvrir de quoi se composent nos nuits.

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Depuis que je travaille comme prévisionniste à MétéoSuisse, l’un des points qui surprend le plus mon entourage est le fait que nous travaillons la nuit. Beaucoup de gens me demandent ce que nous faisons pendant les nuits. Je vous propose aujourd’hui un carnet de bord réalisé durant mon tour de prévision réalisé entre le samedi 2 mars à 20h30 et dimanche 3 mars à 06h15, que je vous livre ici en léger différé!

Début de tour

20h27 : Arrivée dans la salle de prévision. Je commence par le briefing donné par mon collègue qui a fait le tour de service de l’après-midi. J’ai déjà travaillé la nuit d’hier, je suis donc relativement au clair sur la situation météo. On revient sur mes prévisions réalisées la nuit précédente, ce qui s’est avéré correct et ce qui ne l’était pas, et on fait le point sur la situation. Le point central est l’avis de fortes chutes de neige sur les versants sud des Alpes, et l’avis de vent fort pour le foehn. Les avis ont été faits, les autorités informées, j’arrive un peu après la bataille. Reste à voir si la neige tombe comme prévu cette nuit.

20h51 : Je démarre tranquillement tous les logiciels, ça prend un peu de temps pour que tous les modèles soient opérationnels. Parmi les nombreuses options à disposition, il faut choisir ce qui va être pertinent à surveiller cette nuit. Une liste de nombreuses tâches m'attend pour la nuit avec des bulletins divers, des prévisions pour l'aéroport, une analyse des risques et dangers potentiels pour les 7 prochains jours, etc.

21h07 : Premier produit à faire, le TAF (Terminal Aerodrome Forecas), une prévision aéronautique pour l’aéroport de Genève Cointrin. Voici ma prévision qui décrit les 36 prochaines heures : VRB02KT 9999 FEW070 BKN090 TX10/0315Z TN05/0306Z BECMG 0315/0318 22007KT PROB30 TEMPO 0318/0324 SHRA=. Si vous souhaitez essayer de décoder ce langage spécifique à l’aéronautique, vous trouverez plus de détails sur les TAF ici. Je vais plancher maintenant sur un gros morceau de la nuit : l’analyse synoptique. Cette analyse des 8 prochains jours, qui n’est pas diffusée au public, sert de base à nos prévisions. Au travail ! Je me permets la deuxième manche du slalom géant en bruit de fond.

22h05 : J’interromps mon analyse pour calculer ce que nous appelons « les niveaux de vols » pour les avions et les transmettre l'aéroport. Les avions se réfèrent à la pression atmosphérique pour savoir leur altitude, mais l’altitude réelle à laquelle correspond la pression dépend de la situation météorologique. Toutes les 3 heures, nous communiquons à l'aéroport l’altitude réelle à laquelle correspondent certains niveaux de pression afin de router correctement les avions. C’est important pour le passage des Alpes. Pour le reste, c’est une soirée calme, pas de coup de téléphone pour l’instant (vous ne le savez peut-être pas, mais nous somme joignable 24h/24h).

23h24 : Mon collègue qui fait les observations à l’aéroport finit son tour de service et m’appelle pour faire le point. La nuit devrait être paisible à Cointrin, aucun risque de baisse de visibilité sur la piste demain matin avec par exemple du brouillard. On discute des virgas (précipitations qui s’évaporent avant d’arriver au sol) qui se produisent actuellement. Jusqu’à 5h20 demain et le retour d’un collègue au poste d’observation de l’aéroport, c’est à moi d’envoyer un message toutes les 30 minutes à l’aéroport sur les possibles changements de météo dans le 2 prochaines heures. Vu que c’est calme je peux partir sur une proposition automatique, mais je mets quand même une alarme toutes les 30 minutes, ça me force à jeter un œil à ce qui se passe.

23h44 : Je finis mon analyse synoptique. Vu que j’avais écrit la version d’hier, c’est plutôt une mise à jour. Il semblerait qu’en fin de semaine prochaine, on puisse avoir une situation un peu similaire à celle de ce week-end au sud des Alpes, mais un peu moins intense. Comme je prévois de publier ce blog mercredi, je pourrai vérifier à ce moment [note de mercredi : c’est en effet toujours le cas]. Petit tour sur les diverses observations, il neige sur le sud des Alpes, mais pour l’instant c’est raisonnable, et on voit l’effet de foehn : il fait encore plus de 10 °C à Sion, 12 °C à Aigle, et même 13 °C autour du lac des 4 cantons ! Je vais commencer à rédiger une première version du bulletin. Je le relirai et enverrai plus tard, mais je profite d’être bien réveillé pour m’y pencher.

00h18 : J’ai envoyé mon bulletin pour les journées de mardi à dimanche, ainsi les collègues de Zürich qui font la nuit peuvent y jeter un œil (à Zurich, il y a deux personnes). Quant à moi, je vais faire de même avec leur bulletin couvrant les régions alémaniques, et en cas d’incohérence, on en discutera. J’ai aussi refait un TAF pour l’aéroport (toutes les 3 heures). J’attaque maintenant le moment creux de la nuit. Des collègues profitent de ce moment pour s’assoupir un moment (en restant en salle de prévision si le téléphone sonne). Personnellement, je crains que le réveil soit encore plus dur. Je vais mettre ce temps à profit pour travailler sur un petit outil permettant d’animer les images des webcams, c’est bien mieux que des images statiques pour voir l’évolution de la météo.

La période creuse

00h45 : Je lève la tête de mon code grâce à l’alarme et fait un peu le tour des mesures. Petit rituel répété toutes les 30 minutes. Je fais aussi le tour des webcams. C’est un petit plaisir de la nuit, on a parfois des images magnifiques. Mais ce soir, c’est bien couvert dans les Alpes, rien d’extraordinaire à vous montrer.

01h15 : C’est l’heure de recalculer les niveaux de vol pour l'aéroport. La première fois, je l’ai fait en regardant la pression mesurée à la Jungfraujoch, mais deux fois par jour (à 0h et 12h UTC), on regarde les mesures du sondage de Payerne. Je consigne les niveaux de vol dans un classeur (c’est, je pense le seul moment où j’écris à la main dans mon emploi de prévisionniste) et j’appelle l'aéroport, ça fait plaisir de parler à un humain. Je lis le bulletin des collègues de Zürich. Dans l’ensemble mes prévisions et les leurs concordent, si ce n’est que j’ai peut-être été un peu pessimiste pour samedi prochain (bien que de toute manière, la prévision soit très incertaine à cette échéance). Je reprends les modèles et j’adhère à la proposition de Zürich et hop, je rajoute un peu de soleil ! On entre maintenant vraiment dans la période la plus calme de la nuit, la prochaine tâche est à 3 h. Je poursuis donc le développement de mon code de webcam.

L’approche de l’aube

3h10 : C’est reparti ! Un TAF pour l’aéroport, rédaction du bulletin pour les journées de dimanche et lundi, puis rédaction du bulletin radio et d’une prévision pour les chantiers. La fatigue commence à se faire sentir et tout commence à prendre plus de temps.

3h54 : Le bulletin est écrit, à voir demain au réveil de voir si c’est correct ou non. Les oiseaux se mettent à chanter dehors, cela redonne un peu d’énergie. J’avance avec la suite : niveaux de vol pour l'aéroport et traduction de l’allemand du bulletin pour les autres parties du pays. Au niveau de la veille météorologique, il neige toujours au sud des Alpes, rien d'autre à signaler. L’une des questions en cette saison est le risque du brouillard sur les aéroports et aérodromes à l’ouverture, mais ce matin les conditions ne s’y prêtent pas du tout.

4h20 : Petit appel à l'aéroport pour les niveaux de vol. Je m’attèle au bulletin d'une radio locale.

4h54 : Le gros est fait. Il me reste à mettre à jour notre « timeline » (un outil interne de visualisation des points importants des prochains jours), de briefer mon collègue qui commencera les observations à 5h à l’aéroport, puis de réfléchir aux TAF de 6h (cette fois, il y aura également les aéroports de Payerne, la Chaux-de-Fonds et Sion à prendre en compte). Le point le plus difficile à évaluer sera le risque de foehn à Sion. Mais avant cela, j’attaque le dernier petit pain à la cannelle que je m’étais préparé vendredi avant mes 2 nuits. Un peu de sucre ne me fera pas de mal pour tenir la dernière heure de tour !

5h37 : J’ai eu le collègue de l’aéroport au téléphone, préparé les TAF de 6h, rangé la place de travail. Je vais maintenant relire mes prévisions afin d’être prêt à briefer mes deux collègues qui arrivent d’ici une vingtaine de minutes.

5h53 : Les collègues arrivent, c’est bien matinal pour un dimanche matin.

6h15 : J’ai comme on dit « remis la situation » à mes deux collègues, qui vont suivre cette journée avec comme thème le foehn et la neige en Valais. Ce dimanche, ce n’est pas moins de 8 personnes en tout, entre l’aéroport et le centre de prévision, qui passeront un morceau de leur journée pour MétéoSuisse du côté de Genève. Le collègue de l’après-midi devra même exceptionnellement venir plus tôt car, pour cause de votations, les cartes météo de la télévision doivent être prêtes plus tôt que d’habitude. En ce qui me concerne, il est temps d’aller dormir !