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Retour sur un brouillard inhabituel

MétéoSuisse-Blog | 06 février 2024
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Vous avez été nombreux à remarquer et à apprécier le caractère atypique du temps des derniers jours : le Lavaux est pris par le brouillard, mais pas la Broye ? Il y a du stratus sur Annecy, mais le bassin genevois est complètement dégagé ? Voilà qui est effectivement très inhabituel, comme si les rôles avaient été échangés, une semaine avant mardi gras. Faisons un (dernier) retour sur le brouillard, et voyons quels tours l’atmosphère nous a joués.

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Comme on le voit sur les images satellites, de vastes plaques de nuages bas recouvrent une large partie de la France ainsi que le proche Atlantique : ces zones sont l’influence du système de hautes pressions centrées sur l’Espagne. L’occurrence de stratus ou de brouillard en hiver sous un anticyclone est chose très commune. Mais la Suisse est ici largement épargnée, alors qu’elle est aussi sous l’influence de ce même anticyclone.

Le Jura comme rempart

L’élément déterminant ici est la position du centre de l’anticyclone : il n’est jamais passé au nord de la Suisse, et donc l’humidité des basses couches de l’atmosphère n’a jamais été ramenée sur le Plateau dans un courant de bise, même faible, qui tend à piéger cette humidité entre le Jura et les Alpes.

Au contraire, ces derniers jours, l’anticyclone est resté à l’ouest et au sud de la Suisse, où un faible courant d’ouest s’est maintenu. Et ainsi le rôle du Jura se trouve inversé : au lieu de contenir le stratus sur le Plateau suisse, il protège ce dernier des nuages bas arrivant par l’ouest.

Certains des nuages bas, dont la limite supérieure se trouvait généralement vers 700-800 m, ont tout de même réussi à s’infiltrer tout au nord (cf Fig 2), apportant de l’humidité et donc des conditions un peu différentes sur le Plateau alémanique, comme le rapporte le blog de lundi de nos collègues de Zurich.

En revanche, l’ouest du Plateau a été parfaitement protégé par les montagnes entourant le bassin genevois. Malgré un léger vent de secteur ouest, les nappes de stratus recouvrant Annecy et Bellegarde n’ont pas pu passer la barrière du Vuache et du Mont Sion. Avec une inversion de température plus basse sur le bassin lémanique, la couche d’air humide et relativement froide s’est retrouvée face à une masse d’air plus sèche et plus chaude, donc moins dense : c’est pourquoi les nuages semblent plonger vers le sol en passant cette barrière, et enfin s’évaporent.

Pas de stratus, mais des brouillards

Le Plateau suisse, ou au moins sa partie romande, a dont été largement protégé du stratus. En revanche, des nappes de brouillard d’étendue variable s’y sont formées, et ont parfois résisté plusieurs jours.

Le lieu de leur formation et de leur persistance a parfois été surprenant. Ainsi la région de Fribourg, le Jorat ou encore la Broye ont été passablement épargnées, au contraire de l’est lémanique.

Nous ne percerons pas aujourd’hui tous les secrets du brouillard, ni pour ce qui est de le prévoir (comme nous vous l'expliquions vendredi dernier), ni même pour ce qui est de comprendre rétrospectivement pourquoi il s’est formé ici plutôt que là. Mais nous pouvons essayer de lancer quelques hypothèses plausibles.

Tout d’abord, remarquons l’inversion de température était remarquablement basse. Avec 6,5 et 6,6 °C de température *minimale* à Romont (778 m) et à l’hôpital de Fribourg (700 m), il est clair que ces stations étaient nettement au-dessus de l’inversion, comme les stations de montagne.

Finissons la lecture de cette carte : les minimales proches de 2 °C sur l’est lémanique montrent les régions où le brouillard ne s’est pas levé (et indiquent que le brouillard était à peu près à cette température). Les minimales négatives sur l’ouest lémanique, elles, montrent les stations sous l’inversion thermique mais ayant bénéficié d’un fort rayonnement nocturne, c’est-à-dire d’un ciel dégagé, sans brouillard.

Pour en revenir à l’inversion de température avec l’altitude, entre samedi et lundi, les sondages de Payerne ces derniers jours donnent effectivement une base de l’inversion vers 600-650 m dans la journée, et vers 450-500 m la nuit. Les régions d’altitude supérieure à cette inversion n’avaient donc aucune chance de voir se former du brouillard.

Enfin, si ce brouillard est trop fin, il se dissipe facilement dès les premiers rayons du soleil. Il ne peut persister que là où il y a une épaisseur suffisante entre l’inversion et le sol, donc dans les régions les plus basses, comme le bassin lémanique ou la plaine du Chablais. Naturellement, la présence du Lac permet aussi un apport d’humidité constant.

Énigmes de l'atmosphère

La région des Trois Lacs, pourtant sujette aux grisailles, n’a quasiment pas vu se reformer de brouillard après samedi matin, contrairement à la région lémanique. Les cinquante mètres de dénivellation qui séparent ces région suffisent-ils s à expliquer cette différence ? Hélas, rien n’est moins sûr. On peut soupçonner que le vent de sud-ouest, qui « passe » mieux sur les Trois Lacs ait pu jouer un rôle, et aussi sur l’ouest lémanique. La taille du Léman, mais aussi la topographie plus fermée de sa partie orientale, ont pu aussi aider à conserver plus facilement une masse d’air froid et saturé en humidité. On peut aussi se poser la question du rôle du Valais : la légère brise descendante nocturne constitue-t-elle un apport d’air froid significatif, qui aurait aidé le brouillard à se reformer au cours des nuits ?

Comme nous l’avons dit plus haut, le jour n’est pas arrivé où nous percerons tous les mystères du brouillard et des autres surprises que nous réserve l’atmosphère. Mais, en attendant la prochaine situation atypique, nous espérons que vous avez pu profiter de l’ambiance poétique, voire mystique, que celle-ci a pu offrir.