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Comment jauger l'énergie d'une masse d'air grâce à la température potentielle équivalente

MétéoSuisse-Blog | 03 octobre 2023
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Dans le blog du 28 septembre nous avons abordé la notion de chaleur latente. Nous avons vu que cette "chaleur cachée" est intimement liée à la quantité d'humidité que contient une masse d'air. Mais existe-t-il un moyen simple d'intégrer dans une même valeur chiffrée, température et humidité, afin d'avoir une idée du niveau d'énergie d'une masse d'air?

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L'humidité ne compte pas pour des prunes

Lorsque l'on lit la température de l'air sur un thermomètre, il manque une autre information pour caractériser complètement l'air dans lequel on baigne, c'est celle de la quantité d'humidité. En météorologie, quand on parle d'humidité on fait essentiellement référence à la quantité de vapeur d'eau que chaque mètre cube d'air contient. Afin d'éviter toute confusion, il convient de préciser que la vapeur d'eau n'est pas la petite fumée blanche qui sort d'une bouilloire. Cette fumée est essentiellement composée de gouttelettes d'eau, tout comme les nuages et le brouillard. Quant à la vapeur d'eau, il s'agit, ni plus ni moins que d'eau, mais à l'état gazeux. C'est un gaz totalement transparent et incolore, donc invisible. L'air est capable de contenir une quantité limitée de vapeur d'eau. Cette capacité dépend de sa température. Plus l'air est chaud, plus il peut contenir d'eau à l'état gazeux. Par contre, plus l'air est froid, moins il pourra contenir de vapeur d'eau. Pour donner un ordre d'idée, 1 mètre cube d'air peut contenir au maximum :

- 0.8 grammes de vapeur d'eau à -20°C

- 3.8 grammes de vapeur d'eau à 0°C

- 15 grammes de vapeur d'eau à +20°C

- 28 grammes de vapeur d'eau à +30°C

Chaleur latente, une réserve cachée de chaleur

Nous avons vu que l'air a une capacité limitée à contenir de la vapeur d'eau et que celle-ci dépend de sa température. Mais que se passe-t-il si nous avons de l'air à 30°C qui contient 28 grammes de vapeur d'eau, soit le maximum possible à cette température et que nous décidons de refroidir cet air à 20 degrés? Nous savons qu'à 20 degrés, l'air ne peut contenir plus de 15 grammes de vapeur d'eau. Que va-t-il se passer avec les 13 grammes de vapeur d'eau en trop? Ils vont se transformer en gouttelettes d'eau par le processus de la condensation. Il faut savoir que ce changement d'état de l'eau, du gazeux vers le liquide, libère une grande quantité de chaleur, soit environ 2500 joules par gramme d'eau. A noter, que ce sont précisément ces 2500 joules qui ont servi à transformer l'eau liquide en gaz par le jeu de l'évaporation. Cette chaleur cachée, qui finit par se révéler au grand jour par le jeu de la condensation, est ce qu'on appelle la chaleur latente, thème qui a fait l'objet de notre blog du 28 septembre dernier. Elle joue un rôle fondamental dans l'atmosphère terrestre puisqu'elle permet de transporter de la chaleur "incognito" des tropiques vers les pôles et de fournir de l'énergie aux différents systèmes perturbés.

Et le rapport avec la température potentielle équivalente?

La température potentielle équivalente est une température virtuelle qui permet de tenir compte de l'humidité qu'une masse d'air peut contenir. En effet, la simple lecture d'un thermomètre ne permet pas d'évaluer la qualité d'une masse d'air, notamment au niveau hygrométrique. Nous pouvons bien entendu mesurer le taux d'humidité d'une masse d'air, mais nous nous retrouverons avec deux paramètres, celui de l'humidité et celui de la température, ce qui n'est pas très pratique. Cette température potentielle permet donc de combiner ces deux paramètres en une seule valeur qui donnera en quelque sorte le niveau d'énergie totale d'une masse d'air donnée. Pour obtenir cette thêta-e, on enlève toute la vapeur d'eau qu'elle contient pour la remplacer par la chaleur latente libérée. Techniquement, on soulève virtuellement cet air jusqu'à une altitude où toute la vapeur d'eau présente est condensée, puis on redescend cet air désormais totalement sec à 1000hPa. Cette libération de la chaleur latente à partir de la vapeur d'eau a pour conséquence d'augmenter considérablement la valeur de la température par rapport à une carte de température "réelle", notamment avec les masses d'air humides. Ainsi, ces cartes affichent généralement des valeurs supérieures de 15 à plus 50 degrés par rapport aux cartes de température "réelle"

Il y a air chaud et air chaud

Pour illustrer ce que nous avons vu plus haut et montrer l'aspect pratique de la thêta-e, prenons l'exemple de deux masses d'air chaud, l'une particulièrement chaude et très sèche avec une températures "réelle" de 20 à 22°C à 850hPa (1500 mètres d'altitude) et sa voisine, juste à l'est, un peu plus fraîche mais très humide avec 16°C à 850hPa. En examinant ces deux masses d'air à l'aide d'une carte de température potentielle équivalente, le rapport de force s'inverse radicalement. La masse d'air très chaude mais sèche n'affiche des valeurs de thêtae "que" de 42 à 46°C alors que l'air relativement frais mais nettement plus humide dépasse allégrement les 56°C! Cela signifie que l'air tiède mais très humide est bien plus énergétique que l'air très chaud mais pauvre en vapeur d'eau. Pour peu que les deux masses d'air se superposent, les basses thêta-e chevauchant de hautes valeurs de thêta-e, c'est une situation potentiellement explosive qui est à redouter avec des orages violents à la clé. Dans cette configuration, des orages violents peuvent se développer à la limite de ces deux masses d'air, mais toujours sur le côté à priori "frais et humide" mais nettement plus énergétique de la ligne couleur moutarde.

(Voir les deux cartes ci-dessous)

Autre exemple avec l'approche d'un froid sur la région alpine

Prenons une carte de température potentielle équivalente montrant l'approche d'un front froid et comparons là avec une carte de température sèche, c'est-à-dire celle réelle, mesurée par un thermomètre. Nous constatons que la version thêta-e est bien plus contrastée que la carte de température "réelle" et ce n'est pas juste un effet d'échelle de couleurs. Sur la thêta-e, le contraste entre les deux masses d'air apparaît plus grand, car dans le processus de condensation de la vapeur d'eau, l'air chaud et humide a libéré beaucoup plus de chaleur latente que l'air froid et plus sec.

(Voir les deux cartes ci-dessous)