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Chaleur latente : la force cachée de l’atmosphère

MétéoSuisse-Blog | 28 septembre 2023
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Il existe en météorologie un terme aussi important que mystérieux, celui de chaleur latente. Dans le langage courant, le mot « latent » fait référence à quelque chose qui existerait sans vraiment exister, quelque chose de caché mais bien présent ; de fait, ce mot dérive du latin « latere » signifiant « être caché ». Tentons de lever un peu le voile sur ce concept étrange mais central pour la compréhension d’une grande partie des phénomènes météorologiques.

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L’image ci-dessus représente une molécule d’eau ; elle est électriquement neutre puisqu’elle contient autant de protons (+) que d’électrons (-), respectivement dix de chaque. Les charges à l’intérieur de la molécule sont toutefois inégalement réparties, si bien qu’elle est dite « polarisée » et se comporte comme un aimant. La façon dont plusieurs de ces « aimants » s’attirent et forment selon les cas un solide (la glace), un liquide (l’eau) ou un gaz (la vapeur d’eau) dépend – entre autres – de leur énergie interne, donc de leur température.

A l’origine est le soleil

A la base de tout, il y a donc l’énergie. Celle-ci peut être définie simplement comme la capacité d’agir – en physique on parle d’exercer un travail – sur une certaine masse. La première loi de la thermodynamique, appelée aussi « loi de conservation de l’énergie », dit que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite, qu’elle peut changer de forme (par des processus physiques ou chimiques) mais que sa quantité totale reste constante dans l’univers. Ainsi, l’énergie perdue dans un processus doit forcément être gagnée dans un autre.

Par exemple, lorsque vous montez sur une échelle, vous déplacez votre corps à l’encontre de la force de gravité terrestre, exerçant sur lui un travail nécessitant de l’énergie ; cette dernière vous est fournie par l’oxydation des aliments que vous avez mangés (énergie chimique). Lorsque vous êtes au sommet de l’échelle, l’énergie fournie n’est pas pour autant perdue, elle est en vous sous la forme d’une énergie potentielle de gravité que vous pouvez utiliser pour expulser un objet loin à la ronde en sautant sur l’extrémité d’une planche à bascule, ou pour vous casser la jambe si vous ratez la planche !

LA source d’énergie sur Terre est le soleil. Mais seule une infime partie de l’énergie totale émise par le soleil atteint notre planète ; selon le site « planétoscope », si la totalité de l’énergie émise était captée par la Terre, la croûte terrestre fondrait en 3 minutes. Quoi qu’il en soit, cette infime partie de l’énergie solaire est à la base de presque tout ce qui croît, se déplace et se transforme sur Terre, et c’est à bon droit que les Incas considéraient le soleil comme un dieu. La lumière de l’ordinateur qui vous permet de lire ce blog, c’est lui ; le TGV qui vous a amené à Paris le week-end dernier, c’est aussi lui ; votre enfant qui grandit chaque jour et les plantes de votre jardin ou de votre balcon qui poussent, c’est encore lui. Sans l’énergie fournie par le soleil, la Terre serait un désert glacé privé de vie ; la seule activité perceptible serait sans doute le volcanisme et la tectonique des plaques continentales et océaniques liés à la chaleur interne de la planète.

Chaleur spécifique et chaleur latente

Lorsque deux objets de température différente entrent en contact, un transfert d’énergie se fait de l’objet le plus chaud vers l’objet le plus froid ; l’énergie ainsi transférée est appelée chaleur. On parle de chaleur spécifique pour définir la quantité d’énergie nécessaire pour réchauffer de 1°C un gramme de matière. L’eau par exemple est un corps nécessitant énormément d’énergie, puisqu’il faut 1 calorie pour réchauffer de 1 °C un gramme d’eau. Par comparaison, il ne faut que 0.19 calorie pour réchauffer 1 g de granite, ou 0.24 calorie pour réchauffer 1 g d’air sec.

Puisqu’il faut énormément d’énergie pour réchauffer de l’eau, cela signifie qu’un grand volume d’eau se réchauffe très lentement, et qu’à une température donnée (même froide) ce même volume d’eau représente un énorme réservoir d’énergie. De la même manière, un grand volume d’eau se refroidira très lentement, fournissant à l’environnement 1 calorie par gramme d’eau refroidi de 1 °C. C’est pour cette raison que les océans ou les grands lacs ont une grande inertie thermique, et que les climats voisins de ces régions sont généralement très tempérés : il se réchauffent lentement en été et se refroidissent lentement en hiver.

L’eau, comme de nombreux autres corps, peut changer d’état (on parle aussi de « phase ») : elle peut être solide, liquide ou gazeuse. L’énergie nécessaire pour passer d’un état à un autre est appelée chaleur latente ; elle est dite « latente » car ce transfert d’énergie ne s’accompagne pas d’un changement de température.

Mettons par exemple un glaçon dans un verre de limonade. L’énergie transférée sous forme de chaleur de la limonade à la glace ne servira pas à réchauffer la glace, mais à briser son réseau cristallin pour en faire de l’eau liquide. Le glaçon ne se réchauffera donc pas, mais changera de phase (il faut 80 calories pour fondre 1 g de glace). La limonade en revanche, perdant beaucoup d’énergie dans la manœuvre, verra sa température s’abaisser notablement, ce qui est tout de même le but recherché. Il ne faut pas perdre de vue cependant que l’eau issue du glaçon, d’une température d’à peine quelques degrés, a néanmoins emmagasiné toute l’énergie fournie par la limonade ; cette énergie est présente en elle sous forme de chaleur latente dite de fusion.

De la même manière, pour faire passer l’eau de la phase liquide à la phase gazeuse (pour l’évaporer), il faut lui fournir une immense quantité d’énergie appelée chaleur latente d’évaporation (au niveau de la mer, environ 600 calories pour 1 g d’eau ! ). Cette énergie peut lui être fournie par la plaque de votre cuisinière si vous êtes aux fourneaux, par votre peau si vous sortez de la douche, par le rayonnement solaire sur un plan d’eau, ou par l’air environnant dans le cas de précipitations s’évaporant. Inversement, lorsque l’eau se condense, la même quantité d’énergie est libérée dans l’atmosphère, soit 600 calories par gramme d’eau.

Chaleur latente et climats

Dans 1 litre d’eau produit par la condensation dans un nuage, plus de 120'000 calories sont libérées. Il est difficile d’imaginer l’énergie produite par un ouragan en un jour ; selon Météo-France, elle correspond à la moitié de la production mondiale d’électricité.

De même, les perturbations et les milliards de mètres cubes d’eau qu’elles déversent entre les pôles et les tropiques ne sont rien d’autre qu’un transfert de chaleur des régions les plus chaudes vers les régions les plus froides. Sans ce transfert et cette répartition de chaleur, une toute petite partie seulement de notre planète serait habitable, coincée entre des latitudes trop chaudes et des latitudes trop froides. Lors de son transfert, l’énergie est stockée sous forme de chaleur latente dans la vapeur d’eau véhiculée par les courants d’altitude.

Il ne faut donc pas s’y tromper, paradoxalement c’est la pluie et la neige qui fournissent aux zones tempérées dans leur globalité la chaleur nécessaire à la vie. Le refroidissement que nous ressentons fréquemment lorsqu’il pleut est dû pour sa part au changement de masse d’air, à l’évaporation d’une partie des précipitations ou encore à la survenue dans les basses couches de l’atmosphère d’air originaire de haute altitude, sans oublier le vent qui accentue la sensation de froid.

Ici donc, comme dans bien des domaines, nos sens nous jouent des tours, et c’est tout le mérite de la science de ne pas s’arrêter aux apparentes évidences.