Les personnes qui passaient des vacances balnéaires au bord du lac Léman en août 2023 n'ont pas eu droit partout à la même perception de la baignade : avec 23 °C à Montreux et 9 °C dans le petit-lac (région genevoise), la température de l’eau du lac Léman présentait temporairement un contraste est-ouest exceptionnel. Ces fortes différences de température étaient avant tout d'origine météorologique.
La température de l'eau est intéressante à plus d'un titre : Pour la natation, pour les sports aquatiques les plus divers ou encore pour la pêche. La température de l'eau a également une grande influence sur les courants au sein d'une étendue d'eau et donc sur les processus biologiques ainsi que sur la qualité de l'eau qui en découlent.
Pour étudier en 3 dimensions la température et la circulation des eaux dans les lacs, les hydrologues utilisent différentes méthodes de mesure. D'une part, des mesures ponctuelles, aussi bien à la surface de l'eau (par exemple à la station de Buchillon) que dans les couches plus profondes à l'aide de sondes immergées. D'autre part, ils utilisent également des données satellites pour obtenir des informations sur la température de surface.
Ces méthodes de mesure ne suffisent toutefois pas à fournir une représentation tridimensionnelle complète de la température de l'eau. C'est pourquoi les hydrologues - tout comme nous, météorologues et climatologues - utilisent des modèles numériques qui simulent la circulation de l'eau et la température dans les rivières et les lacs à partir d'observations et d'équations physiques de la dynamique des fluides.
L'accès à l'un de ces modèles est possible via une plateforme appelée Meteolakes, développée par un scientifique de l'EPFL. Cette plateforme met à disposition des observations et des prévisions de la température et des courants de plusieurs lacs suisses. L'interface graphique permet une représentation parallèle de la température de l'eau (des 60 premiers centimètres) et du courant de surface, comme le montre l'animation ci-dessous.
L'animation montre à quel point les baigneurs de l'ouest du lac Léman ont pu avoir froid début août 2023 : l'eau, déjà assez fraîche pour la saison fin juillet, s'est encore refroidie :
Plusieurs hypothèses sont envisageables :
Or, ces deux éléments n'étaient pas présents en Suisse romande à l'époque. Il reste donc une troisième hypothèse plausible :
Pour vérifier l'hypothèse de l'upwelling, examinons les données du modèle à l'aide d'une coupe transversale du lac de Genève à Villeneuve. La période est identique à celle des animations ci-dessus.
Les eaux de surface sont nettement plus chaudes que les eaux profondes, ce qui ne devrait pas être une surprise. Nous constatons en outre que la partie ouest du lac Léman, sur le côté gauche de la coupe transversale ("Petit Lac"), est déjà plus fraîche au début de l'animation et que la température continue de baisser au cours de la journée en raison de la remontée d'eau froide des profondeurs. L'hypothèse de l’upwelling est donc confirmée par l'animation du modèle.
Mais quel a été l'élément déclencheur de cette remontée d'eau froide en plein été ? Et pourquoi l'upwelling ne s'observe-t-il que et précisément dans la partie occidentale du lac Léman ?
Pour l'explication, passons à nouveau de l'hydrologie à la météorologie :
Le responsable du refroidissement de l'eau du "Petit-Lac" est ici le vent du sud-ouest fraîchissant : lorsque le vent souffle sur un lac, il pousse l'eau de surface dans la même direction par frottement.
Fin juillet et encore début août, les situations de vent d'ouest et de sud-ouest étaient à l'ordre du jour et les vents étaient plus fréquents et plus forts que d'habitude pour la saison. Jetons un coup d'œil aux valeurs mesurées par notre station de Genève-aéroport pendant l'épisode de baisse marquée des températures :
Pendant toute cette période, le vent a soufflé du sud-ouest, mais il s'est nettement renforcé dans l'après-midi du 2 août, atteignant des moyennes de plus de 40 km/h et des rafales de près de 80 km/h.
Le vent devenant plus fort, le transport des eaux de surface en direction de Lausanne a également augmenté, ce qui a fait encore davantage remonter les eaux profondes plus froides de l'ouest du lac Léman vers la surface, d’où le refroidissement abrupt.
En cas de vent fort sur un lac (situation de vent d'ouest, de bise, de foehn, etc.), il est donc possible d'estimer, à l'aide des prévisions de la force et de la direction du vent, où et quand le phénomène d'upwelling, et donc le refroidissement de l'eau, pourrait se produire.
Le même phénomène que sur le lac Léman a pu être observé au même moment sur le lac de Constance. Sur le flanc sud d'une dépression tempétueuse, un fort vent d'ouest à sud-ouest a soufflé toute la journée du dimanche 6 août 2023. Celui-ci a "poussé" les eaux de surface de l'Untersee vers l'est. Le soir et pendant la nuit, de l'eau plus fraîche a afflué des couches plus profondes et la température en surface est passée en peu de temps de près de 20 °C à moins de 15 °C. Ce processus est bien illustré dans le graphique à l'aide des données de mesure de Salen-Reutenen (vent sur le lac de Constance) et de la température de l'eau du Rhin près de Neuhausen.