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Disparition du métier d’observateur météo : à la croisée de l’expertise humaine et des progrès technologiques
MétéoSuisse-Blog | 15 mai 2025

Depuis environ une année, l’arrêt des observations humaines et la fermeture du poste d’observation à l’aéroport de Genève ont marqué la fin d’une ère au centre régional Ouest de MétéoSuisse. Dans ce blog, quelques observateurs et une observatrice partagent leur expérience de météorologues postés aux premières loges pour suivre l’évolution du temps et de la technologie.

Poste d’observation de MétéoSuisse devant la piste de l’aéroport de Genève, avec le Jura français en arrière-plan. Photo : Laurent Cretenoud
Poste d’observation de MétéoSuisse devant la piste de l’aéroport de Genève, avec le Jura français en arrière-plan. Photo : Laurent Cretenoud
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L’histoire de la météorologie aéronautique en Suisse est bientôt centenaire. Elle a commencé à la fin des années 1920 sur plusieurs aérodromes puis s’est développée au fil des ans. Les observations météorologiques étaient reportées sur des cartes pour être analysées et servir de base à la prévision du temps. Pendant des décennies, la personne qui observait transmettait les conditions du moment dans des messages codés et diffusés au niveau mondial, grâce à des systèmes de télécommunications spécifiques.

Les observations météorologiques répondaient au départ essentiellement à des objectifs climatologiques. Il s’agissait en effet de décrire le climat d’une région. Avec l’avènement de l’aéronautique, le besoin en matière de prévision météorologique s’est fait particulièrement pressant. La création de l’OACI en 1944 a permis de poser les bases de la réglementation. L’observation spécifique pour l’aéronautique a suivi. Les premières observations étaient assurées par les météorologues depuis le toit de l’ancien terminal de Genève-Cointrin.

1950 : Un nouveau poste dédié à l’observation météo

Dans les années 1950, un poste dédié à l’observation météo est érigé au bout d’une piste qui mesurait alors la moitié de celle d’aujourd’hui. Dans les années 1960, avec le prolongement de cette piste, un poste d’observation est construit près de Colovrex, à quelque distance du nouveau seuil de piste ; il subira quelques transformations et adaptations durant les décennies suivantes, avant d’être détruit à la faveur d’une nouvelle vigie en 2009.

La nouvelle construction, sur pilotis, atypique, pourrait s’apparenter à un instrument météorologique. Moderne, sa vigie épurée ne recevait plus qu’un pupitre avec de multiples écrans informatiques. Les observateurs/trices y ont travaillé 24h/24 et 365 jours par an.

Il faut savoir que tout aéroport international est soumis à la diffusion régulière des messages METAR, décrivant direction et vitesse du vent, visibilité, type de temps, quantité et bases des nuages, température, point de rosée et pression atmosphérique, ainsi qu’une prévision de tendance. Un certain nombre de ces paramètres a rapidement été mesuré et transmis de manière automatique. Jusqu’à récemment, quelques paramètres ne pouvaient qu’être estimés visuellement : c’était le cas de la visibilité, du type de temps (pluie, neige, grêle, brume, etc) et de la base des nuages. La qualité et la précision des appareils de mesure ayant inexorablement évolué, on a pu progressivement se passer de l’observation humaine. A l’automne 2016, le service de nuit a été supprimé. Suivra l’automatisation complète au printemps 2024, sous supervision à distance depuis la salle de prévision.

Philippe Roch, observateur depuis 2009 – Le charme du métier

« J’ai beaucoup apprécié cette activité et la relation avec l’environnement de l’aéroport. C’était un vrai privilège de pouvoir assurer la continuité des observations pendant toutes ces années, de suivre l’évolution du temps au fil des saisons. Je me rappelle d’un matin d’hiver où j’étais encore en formation. Je m’apprêtais à envoyer le METAR et mon regard s’est arrêté sur les valeurs des deux capteurs de vent situés à chaque extrémité de la piste.

Trois kilomètres séparent chaque instrument, le premier affichait entre 5 et 10 nœuds de secteur ouest et le second, à peu près la même valeur mais secteur nord-est. Cette convergence m’intriguait et je cherchais une explication, quand mon formateur me donna un indice, il s’agissait simplement de l’air froid qui avançait sur la piste. À cet instant, je n’avais pas imaginé que la progression de l’air froid, balayant l’air chaud sur son passage, puisse être suivi à l’aide des anémomètres. »

« Dans les bons moments, il y a aussi les levers du soleil aux couleurs flamboyantes, qui nous faisaient oublier les quelques heures de sommeil perdues. D’autres fois, c’étaient les virgas ou les arcs-en-ciel après le passage d’une perturbation ou encore le halo autour de la lune. Beaucoup d’instants magiques, d’émerveillements, faisaient le charme de cette activité. »

La suite des évènements s’inscrit dans l’optimisation technologique. Les améliorations de ces dernières années ne justifient plus la présence d’une personne sur le site puisque les observations automatiques répondent aux standards de sécurité aéronautique. Alors, la fonction va évoluer inexorablement, elle continue mais à distance… nous prenons du recul, derrière un rideau d’écrans, des caméras nous offrent un joli panorama du site. Il faudra s’y habituer et lâcher prise, peu à peu, en gardant peut-être un doigt sur le guidon pour se frayer un chemin dans cette voie numérique. »

Place de travail à l’intérieur du poste d’observation.
Place de travail à l’intérieur du poste d’observation. (Photo : Laurent Cretenoud)

Laurent Cretenoud, observateur depuis 1990 – Une page se tourne

« J’étais fier sur la terrasse d’observation du poste météo en bout de piste, telle une vigie de navire ou un gardien de phare, aux premières loges des événements météorologiques et de l’activité aéronautique, mais suffisamment loin du tumulte du tarmac, côtoyant intimement nuages et météores.

Mon rôle d’observateur consistait à identifier les variables météorologiques et transmettre mes rapports réguliers pour les opérations aéronautiques, la météorologie générale et climatologique. Enfiler manteau et bonnet au milieu d’une nuit hivernale, silencieuse, pour aller relever températures et humidité dans l’abri Stevenson de notre jardin d’instruments donnait une tendance romanesque à notre fonction. Seul au bout de la piste, le brouillard ou les chutes de neige avec les visibilités réduites et les plafonds bas accentuaient encore cet isolement que j’aimais tant.

J’ai eu la chance de connaître encore la météorologie de « grand-papa » des années 90 où l’on comparait les données relevées sur des instruments mythiques tels que l’héliographe de Campbell ou l’hygromètre à cheveux, même si l’électronique prenait déjà une part importante. Les années 2000 nous ont définitivement fait passer dans l’ère numérique.

Aujourd’hui, une page se tourne avec l’automatisation ; l’aspect romantique de ma fonction est relégué au nom de l’efficiente technologie. Je n’ai aucune rancœur et embrasse l’avenir technologique avec un certain enthousiasme. »

Abri météorologique (appelé aussi abri Stevenson) de la station de mesure de Genève-Cointrin, utilisé notamment pour la mesure de la température. Ce type d’abri n’est plus utilisé aujourd’hui.
Abri météorologique (appelé aussi abri Stevenson) de la station de mesure de Genève-Cointrin, utilisé notamment pour la mesure de la température. Ce type d’abri n’est plus utilisé aujourd’hui. (Photo : Jean-Daniel Bailat)

Valérie Meunier, observatrice depuis 2009 – Rigueur et émerveillement

« Après quinze années en tant qu'observatrice météorologique, je peux affirmer avoir vécu une expérience professionnelle des plus singulières et enrichissantes. Chaque journée passée au poste d’observation a été marquée par des moments uniques et spéciaux. La météorologie nous expose à une variété de situations et de contextes plus différents les uns des autres.

Au début de ma carrière, je me souviens clairement ressentir un certain stress lors des épisodes orageux. La crainte de ne pas pouvoir réagir à temps, voire de ne pas anticiper ces phénomènes, était palpable. Il est crucial de noter qu'un orage peut se former en un temps très court, de l’ordre de la demi-heure. Parfois dissimulé dans un amas nuageux, il peut aussi se déclencher au passage du Jura ou encore se développer de façon isolée. »

« Malgré les outils à ma disposition, une vigilance constante était nécessaire. Mon rôle consistait à anticiper et à émettre des avertissements en prévision d’un impact de foudre sur la zone aéroportuaire afin d’assurer la sécurité du personnel au sol et des voyageurs. En plus de cela, j'avais la responsabilité de rédiger des messages aéronautiques pertinents destinés aux pilotes ainsi qu’aux instances aéroportuaires. L'aspect économique revêtant une importance significative, il était impératif d'être à la hauteur de la situation. Il me semble n’avoir jamais bu autant de litres d'eau que lors de mes premiers orages !

La vue d'un ciel tumultueux accompagné de puissantes rafales de vent lors d’épisodes orageux, qui tout à coup se déchire sur un ciel clair, offre un spectacle aussi impressionnant que fascinant, qui continue de m'émerveiller à chaque fois. Les situations que j'ai eu à affronter sont nombreuses : la neige, le brouillard, les pluies verglaçantes, et bien d'autres encore. Ce métier m'a enseigné à observer le ciel et à en interpréter ses signes. Une chose est certaine, cette habitude restera ancrée en moi pour toujours. »

Orage au sud de Genève vu depuis le poste d’observation.
Orage au sud de Genève vu depuis le poste d’observation. (Photo : Valérie Meunier)

Olivier Tomasini, observateur depuis 2001 – Un pilote aux commandes

« Etant un passionné d’aéronautique, de presque tout ce qui bouge (ancien mécanicien de locomotive) et pilote privé depuis 1984, mon arrivée au poste d’observation a été extraordinaire. Je retrouvais la solitude de mes locomotives tout en étant finalement moins seul, car la vie qu’il y a sur un aéroport, s’ajoutant aux mouvements des avions, j’avais la sensation de n’être pas seul, mais de contribuer au bon fonctionnement des opérations. J’ai adoré les situations orageuses, où il fallait être hyper réactif pour la protection des personnes travaillant sur le tarmac et être le plus précis possible quant à la mise en place d’avis rouges, tout en bloquant le trafic aérien le moins longtemps possible.

Ces horaires irréguliers 24 heures sur 24 – accompagnés de magnifiques couchers ou levers de soleil, de nuits étoilées avec par moments des étoiles filantes, ou encore de perturbations parfois violentes avec de gros orages – m’ont procuré beaucoup de plaisir et de joie dans ce milieu bien particulier qu’est la vie dans l’aéronautique où finalement, nous sommes une grande famille malgré les différents métiers.

Je dois dire que ce poste d’observation avec le travail qui lui incombe va cruellement me manquer. Je vais regretter le travail sur le tarmac au plus près des avions, ainsi que le fait de ne plus pouvoir apporter une certaine valeur ajoutée aux observations. »

Philippe Gasser, observateur depuis 1986 – Un peu de nostalgie

« Vers 20 h tous les soirs le téléphone sonnait, une voix agréable à l’autre bout « Bonsoir ! Alors, il a fait chaud aujourd’hui, qu’avez-vous relevé ? ». On transmettait alors les différents paramètres, température mini, maxi, durée d’ensoleillement, précipitations s’il y en avait eu etc. Ça finissait toujours par une petite conversation sur le temps prévu, les plans pour le week-end ou les vacances…

Elle était toujours sympathique, cette journaliste du quotidien « La Suisse » ; la discussion pouvait durer 5 à 10 minutes, voire plus quand les astres étaient alignés. Et puis un jour de mars 1994 tout s’est arrêté, les rumeurs circulaient depuis quelque temps, mauvais choix commerciaux, concurrence effrénée, le journal « La Suisse » disparaissait et avec lui nos rendez-vous quotidiens. ». 30 ans plus tard, c’est au tour des observations météorologiques humaines de tirer leur révérence.

L’ancien poste d’observation au premier plan (en rouge) et le poste d’observation qui a servi de 2009 à 2024 en arrière-plan.
L’ancien poste d’observation au premier plan (en rouge) et le poste d’observation qui a servi de 2009 à 2024 en arrière-plan. (Photo : Jean-Daniel Bailat)

Depuis le 1er mai 2024, le poste d’observation n'accueille plus que les infrastructures techniques nécessaires à l'exploitation des systèmes de mesures et d'acquisition de paramètres météorologiques nécessaires pour les partenaires de la plateforme aéronautique et le suivi du climat. Ce changement ne correspond pas à un choix commercial ou à un résultat de la concurrence, mais d’une adaptation à l’évolution technologique qui ne nécessite plus la présence d’une personne sur le tarmac de l’aéroport pour effectuer les observations. Cette évolution fait partie intégrante de la stratégie d’automatisation de MétéoSuisse, qui s’observe aussi au sein d’autres services nationaux de météorologie.

Désormais, le soutien météorologique à l’aéroport est effectué 24 heures sur 24 par les météorologues depuis la salle de prévision du centre régional ouest (situé dans le bâtiment de l’Organisation Mondiale de la Météorologie, près du jardin botanique de Genève), à travers un réseau de caméras et de capteurs. Le soutien apporté à l’aéroport inclut la veille météorologique, l’émission d’avis (foudre, vent, neige), le monitoring (et dans certaines situations météorologiques spécifiques l’édition) des messages d’observation, et la fourniture de conseils expert et de briefings à diverses entités actives sur la plateforme aéroportuaire.

Qu’est-ce qu’un METAR ?

Les observations dans les aéroports sont appelées METAR, pour "Meteorological Aerodrome Report". Ces messages indiquent les conditions météorologiques de manière codée sur la place aéroportuaire toutes les 30 minutes (60 minutes selon l’aéroport). Les paramètres suivants sont codés :

  • Jour et heure
  • Direction et vitesse du vent
  • Visibilité
  • Temps sensible
  • Base et étendue des nuages
  • Température et point de rosée
  • Pression réduite au niveau de la mer
  • Tendance pour les deux prochaines heures

Voici par exemple le METAR du 2 janvier 2024 à 12h20 UTC (021220Z) :

021220Z 24012KT 9999 -RA FEW015 BKN025 07/05 Q1012 NOSIG

  • 24012 KT : vent moyen de 12 nœuds (22 km/h) du sud-ouest (240°)
  • 9999 : visibilité égale ou supérieure à 10 km
  • -RA : faible pluie
  • FEW015 BKN025 : quelques nuages à 1500 pieds au-dessus de l’aéroport et des nuages étendus à 2500 pieds
  • 07/05 : température de 7 °C avec un point de rosée de 5 °C
  • Q1012 : pression de 1012 hPa
  • NOSIG : pas de changement significatif attendu dans les 2 prochaines heures