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La « neige du siècle » de février 1985 (1ère partie)
MétéoSuisse-Blog | 15 février 2025

Aujourd’hui, comme trop souvent ces derniers hivers, il n’est pas question de chausser les skis à moins de 1000 mètres, et même à plus haute altitude le manteau neigeux n’a pas bonne mine. Pour aggraver le tout, notre bulletin de prévision annonce un temps sec pour les sept prochains jours… Il y a 40 ans exactement, le tableau était radicalement différent en Suisse. Ainsi, les 16 et 17 février 1985, un épisode neigeux majeur affecta les régions de plaine du bassin lémanique et du Chablais. Il s'agit de la mythique « neige du siècle » !

Une rue de Genève, pendant la semaine qui a suivi l’abondante chute de neige du week-end du 16 et 17 février 1985. Photo : Marcel Golay.
Une rue de Genève, pendant la semaine qui a suivi l’abondante chute de neige du week-end du 16 et 17 février 1985. Photo : Marcel Golay.
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Pour beaucoup d’entre nous, la neige en plaine est un désagrément dont on se passerait bien. Pourtant, il faut reconnaître que, celle-ci exerce aussi un fort pouvoir de fascination, non seulement sur nos têtes blondes, mais également sur une frange non négligeable de la population adulte. Lorsqu’elle tombe jusqu’en plaine, la neige a une saveur particulière, que l’on ne retrouve pas lorsque celle-ci n’enveloppe de son manteau que les régions de montagne, lieu où sa présence va de soi durant la saison hivernale dans notre imaginaire, même en cette époque de réchauffement climatique.

La recette pour une copieuse chute de neige en plaine

Mais tout d’abord, il est nécessaire de rappeler les ingrédients qui entrent dans la recette d’une chute de neige en plaine, a fortiori une abondante chute de neige.

Pour fabriquer des flocons, nous avons besoin de froid, avec des températures nettement inférieures à zéro degré, et d’humidité. Le problème est que plus l’air est froid, moins il est capable de contenir de grandes quantités d’humidité. Pour la Suisse romande, les sources d’air froid et humide sont la mer du Nord ou la mer de Norvège, mais ces masses d’air maritimes nous arrivent avec des températures souvent légèrement positives en plaine et même si elles sont humides, la teneur en humidité est généralement insuffisante pour donner autre chose que quelques averses de neige mouillée. Seules les régions de montagne exposées à ces vents froids et humides peuvent tirer leur épingle du jeu en soulevant ces masses d’air et provoquer des chutes de neige par barrage. Dans le cas d’une masse d’air continental très froid en provenance du nord-est, l’humidité fait presque totalement défaut et le risque de neige diminue drastiquement.

En fait, le secret pour obtenir d’abondantes chutes de neige est d’associer de l’air très froid dans les basses couches à de l’air doux et très humide dans les couches supérieures. Mais pour que la mayonnaise prenne, un équilibre subtil est indispensable. Si la couche d’air froid (inférieure au zéro degré C) proche du sol est trop mince, c’est-à-dire avec un sommet de la couche inférieur à l’isotherme du zéro degré de l’air chaud, nous n’aurons pas de la neige mais de la pluie verglaçante. Dans le cas d’une couche d’air froid trop épaisse, l’apport d’air humide assuré par l’air doux sera entravé et les chutes de neige demeureront modestes.

Dans nos régions de plaine du bassin lémanique, l'équilibre parfait est difficile à obtenir de façon durable et ne survient que lors de concours de circonstance.

De l’air doux et humide qui passe par-dessus de l’air très froid et sec : voici le cocktail idéal pour d’abondantes chutes de neige (coupe verticale schématique). Source : MétéoSuisse
De l’air doux et humide qui passe par-dessus de l’air très froid et sec : voici le cocktail idéal pour d’abondantes chutes de neige (coupe verticale schématique). Source : MétéoSuisse

Retour sur le 15 février 1985

Afin de cerner le contexte de ces fortes chutes de neige, il est nécessaire de débuter le récit au 15 février, soit la veille de cet épisode neigeux majeur.

Durant la matinée de ce vendredi 15 février, une masse d’air arctique a fait littéralement irruption sur la Suisse romande, faisant chuter la température de +7 à -1°C en tout juste 4 heures. La température a continué à baisser durant toute la journée pour atteindre -4°C dans la soirée de vendredi. La première condition, à savoir l’apport d’air très froid, était réalisée. Fait extrêmement rare, lors du passage de ce front froid, le vent du sud-ouest doux a fait directement place en quelques minutes à une bise modérée et la pluie a fait place à la neige une demi-heure après.

La situation générale du samedi 16 février 1985

Le jour suivant, soit le samedi 16 février, une importante masse d’air glacial recouvrait une bonne partie de l’Europe à l’exception de l’Espagne, du sud de la France et de l’Italie méridionale. La carte au sol du samedi 16 février à 1 heure du matin révèle que sa limite, très nette, s’étirait depuis La Rochelle jusqu’au Péloponnèse en passant par Valence (Drôme) et Gênes. Au nord-est de cette ligne, les températures étaient pratiquement partout largement négatives, même au meilleur de la journée, alors qu’au sud elles atteignaient ou dépassaient les 10 degrés. À noter que cette frontière entre ces deux masses d'air radicalement différentes se décala lentement vers le nord durant une bonne partie cette journée de samedi.

La situation au sol le samedi 16 février à 1 heure du matin. L’Europe apparaît coupée en deux, avec de l’air arctique très froid au nord et de l’air doux et humide au sud. La ligne de démarcation s’est décalée vers le sud, et passe désormais au sud de la Suisse romande. D’abord inactive, la frontière entre ces deux masses d’air va brutalement s’activer… Source : MétéoSuisse
La situation au sol le samedi 16 février à 1 heure du matin. L’Europe apparaît coupée en deux, avec de l’air arctique très froid au nord et de l’air doux et humide au sud. La ligne de démarcation s’est décalée vers le sud, et passe désormais au sud de la Suisse romande. D’abord inactive, la frontière entre ces deux masses d’air va brutalement s’activer… Source : MétéoSuisse

En poursuivant l'analyse de la carte au sol, plusieurs noyaux anticycloniques froids reliés par des ponts étaient repérables. Le plus important étant positionné sur la Scandinavie et le nord-ouest de la Russie, un autre sur les Iles britanniques et un troisième sur les Balkans.

Sur le sud-ouest du continent, une vaste zone faiblement dépressionnaire provoquait un faible courant du sud-ouest amenant de l’air doux et humide de la Méditerranée vers le midi de la France. Poussé par ce flux du sud-ouest, cet air doux avait tendance à escalader et tentait de repousser lentement l’air glacé plus dense, situé au nord-est de la ligne Nantes - Lyon en formant un front chaud.

Tout ce système dépressionnaire basé sur la Péninsule ibérique se décalait lentement vers l’est en longeant le flanc sud-ouest de l’anticyclone.

En fin d'après-midi de samedi, la limite frontale avait atteint la région de Lyon. La Suisse romande était positionnée dans l’air très froid et dense, juste au nord-est de cette ligne de démarcation, au « bénéfice » d’un léger courant de bise, empêchant ainsi toute pénétration d’air doux dans les basses couches du bassin lémanique. L’air plus chaud et humide ne faisait donc que glisser sur la masse froide sans jamais l’entamer car celle-ci était en permanence alimentée par le flux de nord-est généré par l’anticyclone continental froid.

En altitude, la carte à la 500 hPa (vers 5500 mètres) montrait une situation un peu particulière avec la Suisse située au début d’une zone de confluence entre deux flux, l’un en provenance de la Scandinavie, l’autre venant du sud-ouest et amenant de l’air de la région des Iles canaries.

Cette configuration dite de « split flow » fut sans doute l’un des moteurs de cette frontogenèse qui s’est pratiquement développée sur place. En effet, avant que les précipitations ne débutent sur le sud-ouest de la Suisse romande, l’activité frontale était partout quasi nulle, avec seulement çà et là quelques faibles précipitations.

Le début des hostilités

Le décor est planté, nous sommes en fin d’après-midi de ce samedi 16 février 1985, l’air glacial recouvre toute la Suisse romande. Le ciel est couvert d’une couche d’altostratus épais d’aspect uniforme, un vrai « ciel à neige », mais à ce moment-là, personne ne se doute que cette fin de journée un peu terne fera place à une nuit puis à un dimanche mémorables et chaotiques. À Genève il est maintenant 18h15, la nuit tombe et la température est de -3.4°C. Les premiers flocons fins et légers commencent à voltiger devant les réverbères. Les phares des voitures révèlent de petits tourbillons de neige qui glissent mollement au-dessus de la chaussée, soulevés par une bise aigrelette...

Les températures mesurées à 18h20, juste au début de cet épisode neigeux historique. Dans le courant de la nuit, à la faveur de vents du sud-ouest, la température remontera à -1.9°C à La Dôle alors qu'elle restera stationnaire en plaine. Source : MétéoSuisse
Les températures mesurées à 18h20, juste au début de cet épisode neigeux historique. Dans le courant de la nuit, à la faveur de vents du sud-ouest, la température remontera à -1.9°C à La Dôle alors qu'elle restera stationnaire en plaine. Source : MétéoSuisse

Dans la deuxième partie de ce récit, nous plongerons dans le vif du sujet, c'est-à-dire dans une épaisse couche de poudreuse rafraîchissante.