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Comment le temps s'entend
MétéoSuisse-Blog | 06 février 2025

Peut-on savoir quel temps il fait dehors en tendant l’oreille et en écoutant, non pas les bruits météorologiques comme ceux de la pluie, du vent ou de l'orage, mais simplement les bruits de la rue ? L’intuition des collègues à la pause-café ainsi que Proust répondent par l’affirmative : le doute n’est donc guère permis. Il reste alors à savoir dans quelle mesure et par quels mécanismes les conditions météorologiques influencent la propagation du son. Le blog d’aujourd’hui ne fera pas le tour de cette vaste question hantée par d’affreuses équations, mais tentera au moins de la défricher.

Image : d’après Pixabay
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Voici d'abord l'extrait qui a inspiré ce blog :

« Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d’avoir vu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu’il faisait. Les premiers bruits de la rue me l’avaient appris, selon qu’ils me parvenaient amortis et déviés par l’humidité ou vibrants comme des flèches dans l’aire résonnante et vide d’un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j’avais entendu s’il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l’azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répandait une tristesse annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil en musique. »

Marcel Proust, La Prisonnière (1923)

Qu’est-ce que le son ?

Commençons par la base : le son est une onde qui se propage dans un milieu matériel par compression et relâchement alternés de ce dernier – généralement l’air, mais aussi d’autres fluides comme l’eau, et également les solides. En dépit de l’impression trompeuse laissée par de nombreux films de science-fiction, le son ne se propage pas dans un espace vide.

Dans l’air, un son consiste en une petite variation de pression qui se transmet sous forme d’onde. Le son est la propagation d’une impulsion et non une propagation de matière. Les particules d'air ne sont pas transportées, mais oscillent autour d’une position d'équilibre.

L’amplitude de ces variations de pression déterminent l’intensité du son (ou « volume sonore »). Ces variations restent toujours très petites devant la pression atmosphérique : moins de 0,02%. Les sons les plus forts de la vie courante, de l’ordre de 120 dBz, correspondent à des variations de pression de 0,2 hPa : à comparer à la pression atmosphérique qui varie généralement entre 950 et 1050 hPa.

La fréquence du son correspond au nombre de compressions/dépressions par seconde en un point donné : un hertz (Hz) équivaut à une vibration par seconde. La plage d’audition pour l’oreille humaine commence autour de 20 Hz environ pour les sons graves, et jusqu’à 15 000 à 20 000 Hz environ (selon l’âge) pour les sons aigus.

Vitesse du son

La vitesse du son est la vitesse de propagation de l’onde sonore. Dans des conditions ordinaires, à 15 °C et en air sec, la vitesse du son dans l’air est de 340 m/s (1224 km/h).

Dans l’atmosphère, la température est de loin le facteur le plus important qui peut faire varier la vitesse du son. Plus il fait froid et plus le son se propage lentement, ce que l’on comprend bien intuitivement : une température plus basse est synonyme d’une agitation moléculaire moindre, et des molécules s’agitant à une vitesse moindre transfèreront plus lentement un élan ou une impulsion de proche en proche, c’est-à-dire une onde sonore.

Les Aventures d’Anselme Lanturlu, « Si on volait ? ». Source : www.savoir-sans-frontieres.com
Les Aventures d’Anselme Lanturlu, « Si on volait ? ». Source : www.savoir-sans-frontieres.com

Ainsi, par -50 °C le son ne se propage qu’à 300 m/s, et à +50 °C il ira à 360 m/s. La pression n’a pas d’influence sur cette vitesse. La vitesse du son varie donc avec l’altitude, mais c’est à cause des variations de température et non de pression.

L’humidité de l’air a également une influence, mais beaucoup plus faible : seulement 1 m/s de différence entre un air très sec (10% d’humidité relative) et un air très humide (90%). Dans quel sens ? Là aussi, on le comprend intuitivement : la vitesse du son est plus élevée dans un air humide car ce dernier est moins dense qu’un air sec, il y a donc moins de résistance et une impulsion se transmet plus rapidement.

Oui, l’air humide est moins dense que l’air sec. Cela surprend souvent les gens, mais on peut facilement s’en convaincre. L’humidité relative correspond à une quantité de vapeur d’eau (H2O) dans de l’air, constitué de dioxygène (O2) et de diazote (N2). En se référant au tableau périodique de éléments, on compte le nombre de protons et neutrons contenus dans chaque molécule :

  • N2 : deux atomes d’azote, donc 2x14 = 28
  • O2 : deux atomes d’oxygène, donc 2x16 = 32
  • H2O : deux atomes d’hydrogène et un d’oxygène, donc 2x1+16 = 18.

Une molécule d’eau est donc nettement plus légère que les molécules composant l’air sec. Comme chaque molécule occupe la même place quelle que soit sa nature (c’est la loi des gaz parfaits, ou plus exactement la loi de Dalton), l’air humide est plus léger que l’air sec !

Les caractéristiques du milieu – température et humidité – influencent donc à des degrés divers la vitesse du son.

Hélas, on voit mal comment cela pourrait aider quelqu’un à obtenir des informations sur la météo en écoutant les bruits de la rue. À la rigueur on pourrait imaginer estimer la température extérieure à partir du décalage temporel entre le moment où on entend un train passer et l’heure à laquelle il est censé passer, à condition de disposer d’une horloge ultra-précise et surtout d’un horaire ferroviaire parfaitement ponctuel. Peine perdue, donc.

Qu’en est-il des caractéristiques du son lui-même : volume sonore, fréquence ?

L’air est généralement considéré comme un milieu non dispersif, c’est-à-dire que les sons voyagent à la même vitesse quelle que soit leur fréquence. C’est une chose heureuse, car sans cela les concerts de musique seraient tout simplement impossibles, ou plutôt inaudibles : on imagine la cacophonie au fond de la salle de concert si plusieurs notes jouées sur scène simultanément (c’est-à-dire un accord) arrivaient avec un décalage de quelques secondes… En réalité l’air est dispersif, mais très faiblement : les écarts ne dépassent guère 0,1 m/s dans le spectre audible. Autrement dit, même si vous êtes à des kilomètres du concert, vous pourrez reconnaître la musique. Pour cela, encore faut-il que le son porte jusqu’à vous… ce qui nous amène à la question de l’atténuation.

Atténuation géométrique et atmosphérique

Dans l’air libre, une onde sonore s’atténue d’abord pour des raisons géométriques, parce qu’elle se propage dans toutes les directions, ce qui revient à répartir une énergie constante dans un volume devenant de plus en plus grand. Un son très fort portera plus loin qu’un son faible, mais s’atténuera tout de même rapidement, car l’atténuation est fonction du volume, donc proportionnelle au cube de la distance.

Phénomène analogue, mais sur une surface : l’atténuation des vaguelettes se fait cette fois selon le carré de la distance. Image : pixabay.com
Phénomène analogue, mais sur une surface : l’atténuation des vaguelettes se fait cette fois selon le carré de la distance. Source : pixabay.com

En plus de cette dissipation géométrique, le milieu dans lequel l’onde se propage absorbe aussi lui-même une partie de l’énergie, à cause des frottements internes et de sa viscosité, qui dissipent une partie de l'énergie de l'onde sous forme de chaleur. Dans l’air cette absorption est plus importante quand la fréquence du son est élevée et que l’humidité est faible. Mais comme l'air est très peu visqueux, cette atténuation reste très faible dans tous les cas de figure. On peut donc la négliger devant les autres facteurs qui modifient et atténuent l’onde.

Réflexions déplacées

Il faut aussi considérer que les ondes sonores qui nous intéressent n’évoluent pas dans l’air libre de tout obstacle. À l’interface avec un autre milieu, comme le sol ou une façade de bâtiment, l’onde sonore est en partie réfléchie, en partie réfractée et en partie absorbée. Si la configuration des obstacles s’y prête, elle pourra revenir vers l’émetteur en étant en partie reconcentrée dans sa direction : on entend alors un écho.

La forme de l’obstacle joue un rôle très important : une surface plane provoquera plutôt une franche réflexion de l’onde tandis qu’une surface très irrégulière en absorbera davantage et la réfléchira aussi dans de multiples directions, l’atténuant encore davantage. Toutefois dans le scénario que nous considérons, la forme des obstacles (arbres, immeubles, etc) ne change pas du jour au lendemain. Nous ne sommes donc pas plus avancés pour connaître le temps du jour sans ouvrir les yeux.

En revanche, la nature ou la matière des obstacles peut changer, et particulièrement celle du sol, selon qu’il est sec, humide, trempé ou enneigé ! On peut donc bel et bien entendre indirectement l’état du sol. L’effet de la neige est ici le plus important : quand elle est légère et fraîchement tombée, elle comporte de minuscules cavités d’air et une surface très importante à cause de la forme des cristaux de neige, sur le même principe qu’une chambre anéchoïque. L’effet d’absorption est très important, et c’est de là que vient cette sensation de « grand calme » pendant ou immédiatement après des chutes de neige dans un air peu venté. D’autres effets peuvent contrarier fortement cette impression de calme (par exemple si vous conduisez cette expérience de neige fraîche un dimanche à Verbier, ou un lundi matin à Genève).

Presque aussi silencieux qu'une chambre anéchoïque, mais beaucoup plus beau. Source : pixabay
Presque aussi silencieux qu'une chambre anéchoïque, mais beaucoup plus beau. Source : pixabay

Des obstacles peuvent aussi être présents directement dans l’air : poussières, gouttes ou gouttelettes d’eau en suspension, flocons... Lorsque l’onde sonore rencontre ces impuretés, des phénomènes de réfractions, de réflexion et d’absorption se produisent également, mais dans toutes les directions et aussi multiples que ces impuretés. C’est ainsi que, dans le brouillard, les sons nous paraissent étouffés et semblent venir de tous les côtés à la fois.

Les effets du vent

Le vent a un effet important sur la propagation des ondes sonores et chacun a pu en faire l’expérience. Quand on parle contre le vent à une certaine distance, il faut hurler pour se faire entendre. Si vous habitez près d’une source de bruit, le vent peut vous apporter ce bruit ou au contraire vous en protéger, selon la direction dans laquelle il souffle.

Toutefois l’effet n’est pas tellement lié au vent lui-même, mais plutôt au gradient vertical de vent, c’est-à-dire son augmentation en force avec l’altitude. Si on imagine un vent homogène (ce qui est irréaliste : à cause des frottements au niveau de la surface et des obstacles, le vent est toujours plus fort à quelques mètres de haut qu’au niveau du sol), l’onde sonore se propagerait normalement dans toutes les directions, mais dans un milieu en mouvement : de la même façon que, lorsqu’on jette une pierre dans un large cours d’eau calme dépourvu de turbulences, les ronds dans l’eau se déplacent avec le courant mais restent bien circulaires. Comme la vitesse du son est toujours très supérieure à la vitesse du vent, on n’aurait dans ce cas quasiment pas d’effet sur la propagation du son.

Quel rôle joue donc ce gradient de vent ? Plaçons-nous d’abord sous le vent par rapport à la source de bruit. Avec la hauteur, la vitesse de propagation du son par rapport au sol augmente (sa vitesse par rapport à l’air est la même, mais l’air avance aussi dans la même direction). Il se passe alors la même chose que pour un engin de chantier dont l’une des chenilles avance plus que l’autre : ça tourne ! Comme le schéma ci-dessous le montre, une partie de l’onde sonore et renvoyée vers le sol : le vent « porte » le son. À l’inverse, par vent contraire, la déviation se fait vers le haut, et il se crée une « zone d’ombre » où le son ne passe pas, ou presque pas.

Déviation des ondes sonores par un gradient vertical de vent portant (en haut) ou contraire (en bas). Dans les deux cas, l’onde est déviée du côté où elle se propage plus lentement par rapport au sol. Source : Hannah, L. (2007) “Wind and Temperature Effects on Sound Propagation”, traduction @BBA
Déviation des ondes sonores par un gradient vertical de vent portant (en haut) ou contraire (en bas). Dans les deux cas, l’onde est déviée du côté où elle se propage plus lentement par rapport au sol. Source : Hannah, L. (2007) “Wind and Temperature Effects on Sound Propagation”, traduction @BBA

Gradient de température

Nous avons dit plus haut que la vitesse du son variait significativement avec la température de l’air : plus l’air est chaud, plus le son se propage vite. Cela a un effet analogue au gradient du vent, où l’onde est déviée en direction du milieu où elle se propage plus lentement. Ici, c’est donc vers les températures les plus froides que l’air est dévié. Cela n’est observable en pratique que dans les cas de fort gradient de température : typiquement dans des cas d’inversion de température très marquée en hiver, dans des vallons de montagne.

Déviation des ondes sonores par un gradient vertical de température. Source : Hannah, L. (2007) “Wind and Temperature Effects on Sound Propagation”, traduction @BBA
Déviation des ondes sonores par un gradient vertical de température. Source : Hannah, L. (2007) “Wind and Temperature Effects on Sound Propagation”, traduction @BBA

En cas d’inversion basse en hiver, on peut donc entendre des sons inhabituels, ou inhabituellement forts, quand on reste dans la vallée ou même dans son lit. Mais qu’on prenne ses chaussures ou ses skis pour monter au-dessus de l’inversion, et très vite tout semble plus silencieux et plus paisible. Désormais vous saurez que cette sensation de calme n’est pas due uniquement à la douceur de l’air ou au bonheur de s’éloigner de la ville, mais aussi – pour une petite partie ! – à la déviation des ondes sonores par l’inversion thermique.