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Un printemps humide présage-t-il un été sans canicule ?

MétéoSuisse-Blog | 01 juillet 2024
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Le printemps dernier a été très humide et la tendance ne s'est pas encore résorbée. La question de l'impact des précipitations sur des températures estivales extrêmes se pose donc désormais. Ce blog passe en revue certaines notions clés en la matière ainsi que les conclusions de certaines recherches publiées sur le sujet.

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Comme indiqué dans notre bilan du mois de mai, le printemps 2024 a été relativement humide sur l’ensemble de la Suisse avec des précipitations excédant la norme (1991-2020) de plus de 50 % dans certaines régions, notamment le Haut-Valais, le Tessin et les Grisons. Une des conséquences directes de cette pluviométrie excédentaire est une humidité marquée des sols. Il a souvent été mentionné que lorsqu’une situation caniculaire se produit pendant une sécheresse, les températures sont plus élevées que si les sols étaient humides, en raison du manque d’évapotranspiration. En effet, l’humidité des sols et des plantes a un effet tampon sur le réchauffement, car une partie de la chaleur est utilisée pour évaporer l’eau de la végétation. Est-ce que ce phénomène seul diminue la probabilité d’avoir une canicule extrême durant l’été ? C’est la question que nous abordons dans les paragraphes suivants.

Bilan hydrique actuel

Le printemps 2024 a été marqué par de fréquentes précipitations, ce qui tranche fortement avec la situation des deux années précédentes. Ces précipitations récurrentes ont eu un impact direct sur l’humidité des sols, comme le montre le bilan hydrique présenté ci-dessous.

Sur ce graphique, on constate que l’indice d’humidité des sols est actuellement inférieur à la capacité au champ (ligne pointillée horizontale), ce qui correspond à des sols non-saturés. Cependant, les valeurs actuelles d’humidité sont plus élevées que la norme saisonnière (ligne noire) et également bien plus élevées que celles enregistrées l’année précédente.

Dans ce contexte, il est important de détailler l’effet « tampon ». Ce concept décrit la situation dans laquelle des sols humides permettent à la végétation d’évaporer assez d’eau pour absorber une grande partie de l’énergie solaire et ainsi de limiter temporairement la hausse des températures. Cependant, ce graphique illustre également bien la durée limitée de cet « effet tampon » protecteur. On distingue en effet en août et en septembre de l'année passée plusieurs périodes au cours desquelles l’humidité des sols est remontée à un niveau élevé avant de plonger à nouveau en quelques semaines à des valeurs proche de zéro. Ceci est dû au fait que l’eau disponible dans les sols a aussi tendance à percoler, limitant ainsi la capacité de stockage des couches les plus élevées du sol. Lorsque ce stock est épuisé, l’effet protecteur d’une humidité élevée est perdu.

Evapotranspiration

L’eau contenue dans les sols peut être transportée vers l’atmosphère par le processus d’évaporation. Lorsque ce processus intervient par l’intermédiaire de la végétation, on parle alors d’évapotranspiration. Or, ce phénomène a un impact direct sur la température de l'air au travers du processus de refroidissement par évaporation. Lorsque que de l’eau s’évapore d’une surface, ici une plante, elle absorbe de l’énergie pour passer de l’état liquide à gazeux, ce qui induit un refroidissement de cette surface. De plus, l’énergie consommée pour permettre le changement de phase de l’eau n’est alors plus disponible pour réchauffer la masse d’air sous forme de chaleur sensible, limitant encore une fois l’augmentation de la température de l'air.

Sachant que l’évapotranspiration de la végétation est contrainte par la quantité d’eau à disposition dans les sols, le lien entre des sols humides et des températures moins élevées qu’elles ne le seraient si une situation de sécheresse se dessine.

Effets météorologiques régionaux de sols humides

En plus de favoriser l’évapotranspiration, des sols humides à l’amorce de l’été induisent d’autres rétroactions positives qui contribuent à limiter la hausse des températures. L’humidité des sols représente, en effet, un élément favorable à la formation d’orages estivaux. En plus d’un fort réchauffement de l’air près du sol durant la journée, un taux d’humidité important contribue à l’instabilité nécessaire aux orages d'été. Dans nos régions, les situations de marais barométrique, durant lesquels le champ de pression ne présente qu’un faible gradient sur le centre de l’Europe, sont particulièrement propices aux développements orageux durant la saison estivale.

Ces orages auront plusieurs conséquences. D’une part, il s’accompagneront d’une baisse temporaire de la température de l'air qui limitera grandement le risque d'une canicule se renforçant de jour en jour. D’autre part, les précipitations qui leur sont associées permettent le maintien du taux d’humidité des sols.

Risque de canicule

D’un point de vue purement théorique, et d’après les éléments ci-dessus, le risque de canicule se réduit lorsque le taux d’humidité des sols est important, et inversement, il augmente lors de sécheresses. Un certain nombre d'études ont démontré cette relation. Avant de les aborder, il convient de rappeler qu’une canicule, en Suisse et selon la définition de MétéoSuisse, est une période durant laquelle la température moyenne dépasse les 25 °C au moins. Il est donc question d’une succession de jours durant lesquels les températures dépassent au moins 30 °C en maximales journalières et 20 °C en minimales nocturnes. Un jour isolé présentant une température maximale de 30 °C n’est donc pas considéré comme une canicule.

L’essentiel de la littérature existante tisse un lien entre les périodes sèches prolongées et des extrêmes de températures. Cependant, il existe des différences régionales. Ainsi, Rouges et al. (2023) relèvent que des sols anormalement secs représentent une condition préexistante à la formation de canicules pour les régions du sud de l’Europe. Plus au nord, la sécheresse des sols ne représente pas un précurseur déterminant en la matière. À plus large échelle, Zeppetello et al. (2022) relèvent que dans les régions extratropicales, les mois les plus chauds jamais mesurés sont tous liés a un déficit de précipitations. Ils notent encore que les jours durant lesquels des records de températures sont enregistrés sont généralement contenus au sein d’une séquence sèche.

Ces éléments ne sont guère surprenants et confirment le lien entre chaleur extrême et sécheresse, même si ce lien n'est pas automatique. À ce sujet, Quesada et al. (2012) relève que l’été 2011 en Suisse, bien que précédé par une intense sécheresse printanière, n’a pas connu d’épisode caniculaire. Ceci s’explique probablement par une vague de plusieurs épisodes orageux avec de forts cumuls de précipitations durant le mois de juin, ce qui aurait grandement abaissé le risque de canicule.

De la même manière, un printemps humide réduit le risque de canicule, en particulier en début d’été, mais ne nous met pas entièrement à l’abri d’une canicule pour le reste de la saison. Comme mentionné dans le chapitre sur le bilan hydrique ci-dessus, une période sèche de quelques semaines suffit déjà à réduire l’humidité des sols en-dessous du niveau nécessaire pour que l’effet tampon agisse sur les températures de surface.

Quelle suite pour cet été ?

D’après les éléments présentés ci-dessus, le risque de canicule est donc faible pour les semaines à venir. Il n’est cependant pas nul et une période anticyclonique persistante pourrait très rapidement inverser la tendance plus tard dans la saison.

Sources

Graphiques d’humidité du sol aux stations MétéoSuisse:
https://www.meteosuisse.admin.ch/climat/changement-climatique/chaleur-canicule-secheresse-froid-et-neige/indicateurs-climatiques/indices-de-secheresse.html

Quesada, B., R. Vautard, P. Yiou, M. Hirschi, and S. I. Seneviratne, 2012: Asymmetric European summer heat predictability from wet and dry southern winters and springs. Nature Clim Change, 2, 736–741, https://doi.org/10.1038/nclimate1536.

Rouges, E., L. Ferranti, H. Kantz, and F. Pappenberger, 2023: European heatwaves: Link to large‐scale circulation patterns and intraseasonal drivers. Intl Journal of Climatology, 43, 3189–3209, https://doi.org/10.1002/joc.8024.

Zeppetello, L. R. V., D. S. Battisti, and M. B. Baker, 2022: The Physics of Heat Waves: What Causes Extremely High Summertime Temperatures? Journal of Climate, 35, 2231–2251, https://doi.org/10.1175/JCLI-D-21-0236.1.