Contenu

Turbulences atmosphériques et aéronautiques

MétéoSuisse-Blog | 22 mai 2024
8 Commentaire(s)

Alors qu’un avion de ligne a traversé de fortes turbulences au-dessus de l’océan indien (turbulence probablement convective) en faisant une victime et de nombreux blessés, nous ferons dans ce blog un inventaire des divers types de turbulence pouvant affecter les aéronefs. Nous présenterons aussi les prévisions mis à disposition des pilotes. Pour finir nous ferons le point des récentes études indiquant une augmentation potentielle du risque de turbulence lié au réchauffement climatique.

  • Météo

Pied de page

Navigation top bar

Toutes les autorités fédéralesToutes les autorités fédérales

Turbulences, dimension et intensité:

En aéronautique le terme de “turbulence” s’applique aux mouvements de l’air qui chahutent et secouent un aéronef en vol, mais aussi ceux qui peuvent affecter les avions dans les plus basses couches de l'atmosphère, lors des phases plus délicates de décollage et d’atterrissage.

Ces mouvements sont  de l’ordre de 1m à 1km environ et d’une durée de l’ordre de la seconde ou de plusieurs minutes.

Les turbulences de très petites échelles génèrent des secousses, qui ne peuvent pas se corriger. Elles ne gênent pas beaucoup l’évolution de l’aéronef et ne représentent qu’une source d’inconfort pour les passagers.

Dans le cas de mouvements d’air de grande taille (grande longueur d’onde), l’aéronef bouge tout entier, sans secousses et sans contraintes exagérées sur sa structure. Le pilote aura le temps de monter, de descendre ou de changer de cap et ainsi d’éviter des effets indésirables.

Entre ces deux extrêmes la taille des turbulences provoque du tangage et des roulis qui augmentent les risques de dégâts de la structure. Le type de mouvements qui peut exercer une force violente et non-uniforme sur la surface des aéronefs est à peu près de la taille des aéronefs.

Note: en aéronautique les hauteurs s'expriment usuellement en pieds (ft). Pour la force des mouvements turbulents et des ascendances thermiques, on utilise des mètres par seconde (m/s).

Échelle de la Turbulence selon l’OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale):

Les effets de la turbulence sur un aéronef vont dépendre de sa taille, de son poids et de sa vitesse. Il existe une échelle d’intensité de la turbulence (échelle OACI) qui décrit les effets ressentis, la variation de vitesse de l’avion et l’accélération verticale subis par l’aéronef.

Les diverses sources de turbulence, généralités :

Les turbulences atmosphériques apparaissent subitement et souvent de manière imprévue lorsque le vent change brusquement de force et/ou de direction.

Ces changements sont appelés cisaillement du vent (en anglais "wind shear"). Le cisaillement du vent produit des volutes et des tourbillons qui génèrent des turbulences pour les aéronefs. Dans ces situations les composantes verticales du vent (ascendances, mouvements descendants) jouent un rôle important dans la production de turbulence. Ces écoulements turbulents sont le plus souvent liés aux grandes vitesses de vent et surtout aux variations importantes de la vitesse et ou de la direction vent sur de courtes distances verticales. C'est notamment le cas en altitude à proximité des jet-streams.

Les écoulements turbulents sont aussi liés à la présence d’obstacles comme des montagnes (formation d'ondes orographiques sous le vent des Alpes en situation de foehn), mais aussi à plus petite échelle liés à la présence de bâtiments ou de collines.

La turbulence a aussi des origines thermiques. Les mouvements verticaux d’origine convective (convection orageuse) peuvent produire des turbulences fortes, voire extrêmes en altitude, à l'intérieur et autour des orages, mais aussi près du sol avec l'arrivée subite de violentes rafales.

Dans les basses couches la turbulence peut être associées aux vents de gradient tempétueux (bise, foehn,..), parfois aussi à des variations subites de masse d’air (Joran au passage d'un front froid) mais aussi plus subtilement au voisinage des inversions de basses couches en hiver.

Turbulence mécanique :

Cette turbulence se produit en basses couches. Elle est essentiellement liée à des vents forts à tempétueux et aux forces de frottement sur la surface terrestre, et est parfois accentuée par la  présence d’obstacles (relief accidenté, bâtiment, forêt,..). En Suisse ce type de turbulence peut être associé à des situations de bise tempétueuse, au Joran, aux rafales de foehn ou de tempête d’ouest du type Lothar.

Une bise ou un vent tempétueux d’ouest avec des rafales à plus de 60km/h pourront générer des turbulences modérées à fortes en basse couche. La canalisation du vent entre les reliefs du Jura et des Préalpes, mais aussi dans les vallées alpines contribuera notamment à augmenter le niveau des rafales et donc le risque de turbulence de basse couche.

Et le Joran dans tout ça ?
Rappelons que les avions décollent et atterrissent contre le vent dominant qui règne sur la piste, cela augmente la portance. L’axe de la piste à Genève correspond d’ailleurs à celui des vents dominants : du sud-ouest ou du nord-est.  Dans le cas du Joran, le vent vient du nord-ouest, un vent de « travers » pour la piste de Genève : il est rarement fort à l'aéroport,mais quand c'est le cas, il peut générer de la turbulence. Ce joran est parfois lié aux orages qui se développent sur le Jura.

Turbulence convective ou thermique :

Cette turbulence est liée aux importants mouvements thermiques ascendants et descendants associés aux nuages d'orage (cumulonimbus, codés CB). Cette turbulence peut affecter des avions en vol et en phase de décollage et d'atterrissage.

En principe en dessous de 1000ft (~300m), le risque de courants descendants est plus probable que celui de courants ascendants. Des accélérations verticales de 2g à 3g sont possibles en vol horizontal au travers d’un orage. Les vitesses verticales peuvent atteindre des valeurs extrêmes de l'ordre de ~30m/s.  Dans les masses d’air tropical (lorsque la tropopause est haute et froide) les CB s’étendent jusque vers 10 ou 13km (maximum jusqu’à 18km), alors que dans les masses d’air polaire il ne montent que jusque vers 5-7km. Si le sommet d’un orage dépasse 35'000 ft MSL (env. 11 km) il doit être considéré comme extrêmement dangereux.

La turbulence convective peut être relativement limitée dans le cas d’orages isolés. En revanche elle peut concerner des régions plus vastes lors de passage de lignes orageuses multicellulaires ou de fronts orageux. Dans ce cas un front de rafales peut balayer presque l’entier d’un pays comme la Suisse. Dans le cas d’orages violents (supercellules) cette turbulence peut être extrême.

Les turbulences autour des orages sont plutôt des courants descendants. La cellule orageuse agit comme une barrière vis-à-vis du vent dominant. Dévié, le vent ondule et tourbillonne. Ce type de turbulence est surtout associé à des situations produisant de puissantes cellules orageuses (orages préfrontaux, supercellules) avec de forts vents en altitude.

En cas d’orage violent ("severe thunderstorm"), il ne faudrait pas voler dans un rayon d’au moins 30 à 40km autour de la zone orageuse.

La turbulence au voisinage de l'enclume des orages

À des niveaux élevés, les aéronefs sont en général au-dessus de la zone nuageuse principale et peuvent contourner les CB. Les techniques d’évitement reposent sur l’observation visuelle et radar.

L’interaction de puissantes cellules orageuses dépassant la tropopause et interagissant avec de forts vents stratosphériques (atmosphère stable) peuvent provoquer des ondes de gravités et des turbulences dans la partie sous le vent du sommet de l’orage (sous le dôme), très similaires aux ondes orographiques en région montagneuse. Des vols au voisinage des sommets de CB et sous l’enclume doivent être évités.
L’altitude devrait être au moins de 1000 ft au-dessus du sommet du CB pour chaque 10 kt de vent mesuré au sommet d’un CB.

Par exemple si le vent souffle à 50 kt près du sommet du CB, l’altitude de vol devrait être au moins de 5000ft au-dessus du sommet du CB, selon le manuel "Aviation weather" (Sanderson training products).

Downburst, microburst et macroburst

Les downbursts sont de rapides et violents courants descendants produit par des cumulonimbus. Ils se produisent dans des régions sèches et chaudes (Australie/ USA) avec ou sans précipitations. L’évaporation des précipitations (a) joue un rôle important dans la genèse des microbursts. Ces derniers ne sont pas exclus en Europe, notamment lors de longues périodes chaudes et sèches. Dans ces situations, des orages à base élevée, donnant peu de précipitation mais de fortes rafales ont déjà été constatés.

Les downbursts de grandes tailles sont appelés macroburst. La zone de vents destructeurs s’étend alors horizontalement sur une région de plus de 4km. Les violents macrobursts peuvent occasionner des dégats similaires aux tornades. Les vents peuvent durer 5 à 50 minutes avec des pointes jusqu'à 60 m/s (~200 km/h).

Les microbursts sont en revanche des downbursts de petite taille dont la zone de vent destructeur (au moins 60 kt, ~110 km/h) ne dépasse pas 4 km. Malgré sa plus faible extension horizontale les vents peuvent atteindre 75 m/s (270 km/h). En générale une zone de rotor (tourbillon horizontal) se forme et s’écarte de manière concentrique à partir du moment où le microburst arrive rapidement près du sol. Ce tourbillon principal se désintègre en donnant naissance à d’autres tourbillons. Le phénomène peut durer 3 à 5 minutes. Un microburst peut passer de 10'000 ft (3000 m) au sol en près de 2 minutes. Les microbursts peuvent se produire notamment quand les précipitations n’atteignent pas le sol (virga).

L’évaporation des précipitations (a) crée une zone d’air froid, plus dense qui file rapidement vers le sol. Les microbursts peuvent être associés à des CB ayant des bases proches du sol (b), à des CB à bases élevées (base entre 5000 et 15000ft), et aux régions sous les enclumes (c). Dans ces deux derniers cas l’évaporation est un mécanisme important.

Turbulence d'ondes orographiques

Lorsque un fort vent souffle perpendiculairement à la ligne de crête d’une montagne, il se met à onduler dans la zone « sous le vent » du relief. Ces sortes de vagues atmosphériques peuvent monter très haut dans la troposphère, à une hauteur environ de 10 km, voire pénétrer la stratosphère. Ces mouvements ascendants et descendants « sous le vent » appelés ondes orographiques (mountain wave) sont responsables de turbulences. Ces ondes orographiques augmentent en intensité lorsqu’un vent tempétueux, comme un par exempe un courant-jet traverse les Alpes.

Ces ondes seront d’autant plus développées que le vent sera perpendiculaire à la chaîne montagneuse sur une grande épaisseur d’atmosphère, que la force du vent moyen soit au moins de 25 kt dans le cas de grandes chaînes montagneuses, mais seulement de 15 kt dans le cas d'une colline.

Idéalement le vent doit aussi augmenter avec l'altitude ou au moins être constant.

La présence d'une couche d'air stable (isothermie ou inversion) proche ou au-dessus du relief, là ou justement l'air est perturbé par la montagne, permettra de rabattre l’air initialement soulevé et de favoriser ainsi la formation des ondes. Il est d'ailleurs assez fréquent de rencontrer une stabilité vers 4-5km (moyenne troposphère).

Dans les Alpes les situations de vent du sud et du vent du nord produisent des ondes orographiques (situations de foehn). Il n’est pas rare de voir de telles ondes au-dessus du Jura.

Ces ondes orographiques peuvent s’étaler jusqu’à 200 km au-delà de la crête alpine, en direction de l’Allemagne par vent du sud et de l’Italie par vent du nord.

Turbulence en air clair (CAT = Clear Air Turbulence)

Exception faite de la turbulence qui accompagne les cumulonimbus, la turbulence en altitude ( > à 5-6km / > 15000ft) est appelée turbulence en air clair (CAT). En altitude, le cisaillement vertical du vent est principalement associé aux courants jets. La vitesse aux abords du jet variant rapidement sur de courtes distances verticales, il s’ensuit un fort cisaillement générant de la turbulence en air clair (CAT).

En fréquence la turbulence en altitude décroît lentement avec l’altitude. On note en revanche une augmentation de la fréquence de la turbulence au voisinage des courants jets et de la tropopause, qui sont à la fois des zones de fort gradient de température et de fort cisaillement vertical et horizontal du vent. Les CAT en altitude sont discontinues et les secousses sont rapides (effets de pavé). L’extension horizontale des CAT d’altitude est de l’ordre de 80-100km, mais peut atteindre 300 à 500km. L’épaisseur moyenne est de 600 m, mais peut faire moins de 30 m. Mais l’épaisseur des zones de CAT prévues fait souvent plus de 2km.

Les risques de turbulences augmentent rapidement quand le cisaillement vertical du vent dépasse 5 kt par tranche de 1000 ft.

Les discontinuités thermiques et du vent (cisaillement) aux limites de masse d'air, au passage d’un front, mais aussi au niveau d'inversion peuvent aussi générer de la turbulence en air clair.

Les CAT peuvent aussi se produire dans les basses couches (exemple fortes rafales de Joran).

Turbulence de sillage (turbulence non-naturelle) :

Les principales sources de turbulences sont donc naturelles. Il existe une source non-naturelle, la turbulence de sillage générée par le bout des ailes des aéronefs. L’intensité et la force de ces turbulences de sillage (wake turbulence) est fonction du poids de l’aéronef, de sa vitesse et de la forme de ces ailes (maximum lorsque les dispositifs hypersustentateurs sont déployés). La plus violente des turbulences de sillage est engendrée par de gros avions commerciaux lourdement chargés, volant à faible vitesse.

Près du sol ces tourbillons de sillage se forment à l’approche juste avant l’atterrissage ou immédiatement après le décollage. Les zones de dangers en phase d’atterrissage se situe en amont du “point de toucher” et en phase de décollage en aval du “point de rotation”. Un aéronef suiveur doit repérer ces points.

Les turbulences de sillage ont un diamètre de 70 à 150 m et peuvent persister plusieurs minutes (2 minutes en moyenne) avant de se dissiper et ne plus produire d’effets turbulents sur un autre aéronef. La persistance des tourbillons sera d’autant plus forte que le vent est faible. Le respect de distance horizontale entre deux aéronefs en phase de décollage ou d’atterrissage permet de réduire au minimum la rencontre de turbulence de sillage par l’avion suiveur : d'où la marge nécessaire de 1 à 3 minutes entre les décollages successifs.

Les tourbillons de sillage sont parfois visibles : quand l’air est assez humide à basse altitude, la vapeur d’eau se condense dans la zone de fort vent près du centre du tourbillon et matérialise ce dernier.

La vitesse tangentielle de ces tourbillons peut être extrême. L’intensité décroît lentement avec la distance derrière l’aéronef.

Prévisions à dispositon des pilotes

Carte du temps significatif (TEMSI, Low level significant weather chart Alps)

Augmentation des CAT au cours des quatre dernières décennies

Une étude menées par l'université de Reading (1) montre que les avions volent dans un ciel plus agité aujourd'hui qu'il y a quarante ans. C'est ce qu'ont découvert des scientifiques après avoir réalisé une nouvelle analyse montrant que les turbulences (CAT) ont augmenté avec le changement climatique.

Selon les conclusions de l'étude, pour la zone Atlantique Nord - l'une des routes aériennes les plus fréquentées au monde - la durée annuelle totale des fortes turbulences a augmenté de 55 %, passant de 17,7 heures en 1979 à 27,4 heures en 2020.

Les turbulences modérées ont augmenté de 37 %, passant de 70,0 à 96,1 heures, et les turbulences légères ont augmenté de 17 %, passant de 466,5 à 546,8 heures. Cette tendance devrait s'accentuer avec le réchauffement en cours.

Une autre étude montre (2) aussi que la convection tend à devenir plus profonde au-dessus des océans (ODC = overshooting deep convection), ce qui pourrait aussi s'accompagner d'une augmention des risques de turbulence associés aux orages dans ces régions.

(1) Evidence for Large Increases in Clear-Air Turbulence Over the Past Four Decades

(2) Response of Tropical Overshooting Deep Convection to Global Warming Based on Global Cloud-Resolving Model Simulations