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Histoire de la météorologie en Suisse - 1er volet

MétéoSuisse-Blog | 26 janvier 2024
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De quand datent les premières observations du temps dans notre pays ? Comment est née l’idée d’un service national de météorologie ? A quoi ressemblaient les toutes premières prévisions ? Partons explorer les origines de la météorologie en Suisse.

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Premières mesures, premières observations

Le début de l’histoire de la météorologie en Suisse se situe vers le milieu du XVIe siècle, où la Renaissance des arts et des sciences amena quelques érudits de ce qui était alors une Confédération de 13 cantons, à observer et à étudier de plus près certains phénomènes naturels. Les plus anciennes informations liées à la météorologie notées régulièrement semblent être celles de Wolfgang Haller, administrateur de la Collégiale du Grossmünster à Zurich, qui couvrent la période de 1545 à 1576. On peut en déduire la fréquence des chutes de neige et des précipitations à partir des températures hivernales qui y sont enregistrées.

Au milieu du XVIIe siècle, des savants florentins inventent le thermomètre (Galilée/Santorio), le baromètre (Torricelli) et d’autres instruments de mesure, qui sont encore d’usage aujourd’hui.

En 1697, Johann Jakob Scheuchzer, grand naturaliste zurichois, lança un appel à la mise en place, dans un maximum de lieux, de mesures météorologiques suivant des règles homogènes. Bien que son appel ait été peu suivi dans un premier temps, des séries d’observations débutèrent dans le courant du XVIIIe siècle dans plusieurs villes, dont Bâle où, à partir de 1768, des observations furent collectées quotidiennement à des échéances fixes et ce, jusqu’à nos jours de manière quasiment ininterrompue. Vers 1780, le Genevois Horace-Benedict de Saussure invente l’hygromètre à cheveu, qui donne une impulsion aux recherches dans le domaine météorologique en Suisse. Pression, température et humidité seront peu à peu notées systématiquement en quelques endroits, mais jusqu’au XIXe siècle, les observations resteront en très petit nombre ; elles seront disparates, irrégulières, souvent inexactes, non comparables entre elles. Les deux premières stations suisses effectuant régulièrement des observations seront créées à Genève (1798) et au Gd-St-Bernard (1817) sous l’impulsion du physicien genevois Marc Auguste Pictet. En 1823, celui-ci proposa à la SHSN (Société Helvétique des Sciences naturelles) de mettre en place un premier réseau de 12 stations équipées de baromètres et de thermomètres, réseau qui fut en service de 1823 à 1837.

Ces nouvelles possibilités intéressèrent non seulement les hommes de science, mais la population elle-même, et certains cantons décidèrent de créer leur propre réseau d'observations (Tessin 1843, Thurgovie 1855, Berne 1830).

L'intérêt pour la météorologie ne cessait d’augmenter et la plupart des pays d’Europe organisaient des réseaux météorologiques qui avaient initialement pour but de définir les éléments essentiels du climat. L'invention du télégraphe, vers le milieu du XIXe siècle, engagea astronomes et physiciens à envisager l’établissement d’un système de prévision des tempêtes, en reliant par télégraphe les postes météorologiques existants. Entre 1850 et 1860, des instituts météorologiques naissent en Angleterre, en Hollande et en France.

Premier réseau d’observations homogènes.. puis premières prévisions

1er décembre1863 : la SHSM met en place 88 stations d’observations exploitées régulièrement avec des règles et des instruments homogènes (blog du 25.12.2023) dont près de la moitié était encore en service en 1981, mais dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une petite partie. Une commission météorologique de 9 membres publiait les résultats des observations dans des rapports annuels. On avait appris que le bureau météorologique français diffusait des bulletins quotidiens par télégraphe et à la presse. Des agriculteurs romands demandèrent au Conseil Fédéral si ce n’était pas possible en Suisse. Le gouvernement céda à la pression du public et les premières prévisions quotidiennes avec des perspectives pour le lendemain parurent dans la NZZ le 1er juin 1878, puis bientôt dans d’autres journaux. Ces prévisions étaient basées sur les observations suisses et sur les rapports de l’Observatoire parisien.

En 1878 également fut créé à Utrecht le comité météorologique international, dont un des initiateurs et un des premiers présidents fut le Suisse H. Wild, alors directeur et réorganisateur du service météorologique et géomagnétique de la Grande Russie.

Les tâches des services climatologiques et synoptiques suisses dépassèrent rapidement le cadre des possibilités financières de la petite commission météorologique de la SHSN.

L'Institut Suisse de Météorologie (ISM)

1er mai 1881 : on fonde l’ISM (Institut Suisse de Météorologie), subordonné au DFI. Sous la direction de R. Billwiller sen., le nouvel institut se met à la tâche avec enthousiasme. On augmente la diffusion des bulletins quotidiens, qui comprennent une carte météo de l’Europe, un tableau d’observations, une vue de la situation générale et des prévisions pour le lendemain, qui ne sont au début valables que pour le nord-est de la Suisse. A côté de cela, l’ISM traite les observations climatologiques, effectue des recherches scientifiques, qui sont publiées dans des annales, annexes des rapports annuels. On y trouve notamment une étude de l’évolution de la température nocturne, d’autres sur le rayonnement thermique dans l’atmosphère, l’origine du foehn ou encore celle des inondations.

Le siège se situe dès le départ à Zurich, d’abord près de l’Observatoire astronomique puis, lorsque l’Ecole polytechnique construit son Institut de physique, l’ISM y trouve place dès 1891. Les bureaux y occupent une dizaine de pièces avec un logement destiné au concierge-observateur, une tour pour les mesures de vent, une terrasse pour les observations des nuages et du rayonnement solaire et enfin un parc d’instruments dans le jardin, pour les mesures thermométriques, hygrométriques, pluviométriques et nivométriques (neige). De 4 au début, le nombre de fonctionnaires et employés passe à 6 en 1879 ; il est de 8 en 1900, 14 au début de la Première Guerre mondiale.

L’Organisation Météorologique Internationale fait pression depuis quelque temps pour qu’on établisse une station en altitude, occupée en permanence par un observateur. On choisit le sommet du Säntis, 2500 m, où se trouvait une auberge. A l’époque, il existe peu de stations météo à une altitude pareille. Le Club alpin suisse, des cantons de Suisse orientale et divers fonds permettent de démarrer en octobre 1887 et de couvrir les coûts d’une année. Un legs de 125'000.- d’un commerçant schaffhousois sans héritier permet ensuite de construire un véritable observatoire. 12 observateurs se sont succédé à ce poste jusqu’en 1969, parfois accompagnés de leur épouse.

Pour la petite histoire

La fonction d'observateur au Säntis n’était pas sans danger, les instruments étant parfois exposés à des vents de 150 km/h et à la formation d’une couche épaisse de givre. Un assistant de l’observateur est d’ailleurs décédé en décembre 1882, d’une chute mortelle. Un fait divers a par ailleurs défrayé la chronique à l’époque : un couple d’observateurs a été assassiné le 21 février 1922.

Le Musée National Suisse a mis en ligne un article très complet relatant ce fait divers étonnant 100 ans plus tard, en 2022.

Les premières données de mesure ne tardent pas à être analysées sur le plan climatique. Une première étude est réalisée en 1873, soit 10 ans après la création du réseau. En 1909 paraît ce qui peut être considéré comme la première climatologie de la Suisse, en deux volumes,  intitulée « das Klima der Schweiz auf Grundlage der 37jährigen Beobachtungsperiode 1864-1900 » (le climat de la Suisse sur la base de la période d’observation de 37 ans, de 1864 à 1900). Pendant un semi-siècle, il est resté l’ouvrage de référence sur ce thème.

Avant la création de l’ISM, des stations pluviométriques sont venues s’ajouter aux stations d’observation, où les observateurs notent la quantité de précipitations tombée chaque jour. Ce réseau est rapidement devenu beaucoup plus dense que le réseau de départ, du fait que les précipitations sont réparties dans l’espace de manière beaucoup plus irrégulière que la température par exemple. Les résultats de ces mesures sont publiés dans des bulletins mensuels et annuels, qui suscitent un grand intérêt de la part des climatologues mais aussi dans les milieux de l’agriculture, de l’aménagement des eaux et de l’industrie électrique, qui commence à se développer. Dans ce contexte, la mise en place vers 1915 de ce qu’on appelle les totalisateurs représente un pas important, s’agissant des premières données automatiques. En effet, à l’aide de ces récipients à ne relever qu’une fois par an – en automne – les précipitations annuelles peuvent désormais être mesurées également dans les régions de haute altitude, voire de glaciers.

Début de l'aérologie

On s’intéressera ici à Alfred de Quervain, scientifique extraordinairement polyvalent et entreprenant, qui a déjà entrepris des recherches indépendantes lorsqu’il était écolier et étudiant. Avant la fin de ses études universitaires, il s’est rendu chez l’explorateur atmosphérique français Teisserenc-De-Bort qui effectuait des sondages à l’aide de ballons-enregistreurs à Trappes près de Paris et avait découvert la stratosphère en 1902. De Quervain obtient son doctorat à Berne, avec une thèse sur le soulèvement de la limite du 0 degré dans les Alpes. Au sein de l’ISM, qui effectue depuis 1903 des ascensions de sondes par ballon à des dates convenues internationalement, il a beaucoup contribué à la promotion des activités aérologiques.

On lui doit entre autres un théodolite spécial pour l’enregistrement de la trajectoire des ballons-sondes. Ses nombreux vols en montgolfière lui ont permis d’acquérir une excellente connaissance des nuages. Sa collaboration au sein de la Commission des nuages de l’Organisation météorologique internationale était très appréciée. En tant que glaciologue expérimenté, il a organisé deux expéditions au Groenland. Lors de la deuxième, en 1912/1913, il a conduit le groupe Est à travers l’inlandsis. Son principal domaine d’activité est devenu la sismologie (étude des tremblements de terre). Il a créé le service sismologique suisse, qui est resté une branche de l’ISM jusqu'en 1956. Grâce à son initiative, un poste d’observation fut installé en 1922 près de la station ferroviaire du Jungfraujoch, à 3450 m d’altitude.

La théorie du front polaire

Au début des années 1920, les bases scientifiques des prévisions météorologiques ont été fondamentalement renouvelées par la théorie du front polaire développée par l’électro-dynamicien norvégien Vilhelm Bjerknes et ses collaborateurs à Bergen. Afin de découvrir cette méthode efficace dans son pays d’origine, Robert Billwiler II, alors assistant, futur directeur de l’ISM, a séjourné à l’observatoire météorologique de Bergen en février et mars 1922. Le service météorologique suisse fut ainsi l’un des premiers en dehors de la Scandinavie à se familiariser avec la théorie du front polaire.

Ce premier volet de l’histoire de la météorologie en Suisse s’achève ici. Nous verrons dans un prochain article le développement du service national suisse de météorologie, lié notamment aux débuts de la météorologie aéronautique.

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