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Les maux des mots

MétéoSuisse-Blog | 09 octobre 2022
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Le changement climatique affecte bien des pans de notre quotidien, et bouscule même des façons de penser et de nous exprimer adoptées depuis des temps immémoriaux. L’article de ce jour voyage dans le champ lexical météorologique, lui aussi fortement malmené et remis en question. Amateurs d’illustrations s’abstenir !

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Une langue a ceci de merveilleux que les mots veulent souvent dire beaucoup plus que leur signification première ; cette extension sémantique permet de créer tout un symbolisme dans le langage, et d’enrichir les propos par des images ou des métaphores. Mais cela nécessite de se mettre d’accord au préalable sur le sens figuré que l’on veut donner à certains mots ainsi que sur des références communes ; ce travail s’est fait lentement, au fil des siècles et d’un vécu partagé et raconté.

Ainsi, si je dis que l'amour est aveugle ou que les carottes sont cuites, ou de quelqu’un qu’il est d’une « humeur sombre » ou dans une « colère noire », tout le monde se représentera à peu près la même chose ; de même un repas « gargantuesque » évoquera l’abondance – voire l’excès – chez tout un chacun, même ceux qui n’ont jamais lu Rabelais.

Le monde de la météorologie, et en particulier celui de la prévision, s’est emparé depuis ses origines d’une terminologie conventionnelle afin d’enrichir un peu un vocabulaire sans cela plutôt pauvre. Sous nos latitudes – et jusqu’à récemment – chaleur, temps sec et lumière ont toujours été valorisés par rapport au froid et à l’obscurité, et les termes « beau temps » et « mauvais temps » ne laissaient place à aucune interprétation, étant compris même par les personnes préférant un ciel couvert par stratus avec une forte bise.

Le changement climatique a d’ores et déjà brouillé les cartes et perturbé ces repères ancestraux. Sous les coups de boutoirs de canicules et sécheresses à répétition, le consensus s’effrite rapidement sur le sens météorologique à donner à des termes comme « beau », « mauvais », « dégradation » ou encore « maussade ». Les précipitations qui autrefois étaient garanties en tout temps à intervalles réguliers nous autorisaient à faire la fine bouche (voire à « cracher dans la soupe », encore une métaphore) et à les considérer parfois comme indésirables ; ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, en particulier durant la saison estivale (j’allais dire la belle saison…), et bien des lecteurs remettent en question la terminologie utilisée. Mais alors que faire ?

Plusieurs possibilités s’offrent à nous. La première est de faire comme si de rien n’était et de continuer comme avant, partant de l’idée que la grande majorité des lecteurs se retrouve toujours dans la terminologie conventionnelle, et que cette dernière a le grand avantage d’être comprise par tous, même par ceux qui s’en plaignent ; bref, « les chiens aboient, la caravane passe ». En revanche, il est fort probable que les critiques deviennent de plus en plus nombreuses et s’intensifient.

Une autre possibilité est de tenter une adaptation, comme certains services météorologiques l’ont déjà fait, et de donner à cette terminologie conventionnelle un sens différent en fonction de la situation. En période de sécheresse, il serait alors question « d’embellie pluvieuse » ou d’ « amélioration » à l’approche d’une perturbation. Le risque est toutefois double : tout d’abord le choix de telle ou telle expression deviendrait très subjectif et pourrait varier fortement d’un météorologue à l’autre en fonction de son appréciation de la situation, ou encore de ses préférences. D’autre part, la compréhension de la part des lecteurs ne serait plus garantie, le consensus ayant disparu.

Une dernière possibilité serait de n’utiliser que des expressions purement météorologiques : pluie, nuages, neige, soleil, etc… C’est la solution la plus facile, la moins exposée, la plus « politiquement correcte », mais indéniablement la plus triste. Un texte météorologique n’a certes pas vocation à être « littéraire », mais la merveilleuse langue française ne mérite pas, sous prétexte de trouver le plus petit dénominateur commun à la compréhension de ses utilisateurs, d’être dépouillée de tous ses ornements.

Il y a forcément une quatrième solution…

Une chose reste sûre, il sera toujours possible malgré canicules et sécheresses, de déguster un petit vin blanc sec dans une atmosphère chaleureuse.

A votre santé !